Le crime d'Eustache et son châtiment


La punition d'un crime au fond de la grotte de Banges

"En Haute Savoie, près d'Alleves, la grotte de Banges souvent visitée autrefois par des genevois qui y cherchaient de l'or, garde dans le pays une impression de mystere due à son lac souterrain qui n'a pas manqué d'inspirer bien des récits fabuleux.

Sous le règne de Saint Louis, nous dit un vieux Savoyard, un seigneur ayant fait voeu de pauvreté se rendait pieds nus à Rome. Venant de Germanie, il avait déjà traversé l'Helvetie et le Genevois, nourri et abrité sur son passage grace à la charité des habitants.

Il arriva ainsi dans le defilé d'Allèves, non loin de la fameuse grotte. Là, il demanda l'hospitalité aux habitants d'une maison isolée ou vivaient un veuf et son fils. Alors que ce dernier était un brave garçon fort pieux, le père nommé Eustache, n'était qu'un forban cupide qui, ayant aperçu contre la poitrine nue de l'étranger une croix d'or enrichie de pierrettes, résolut de s'en emparer après avoir assassiné son hote.

Au cours de la nuit , tandis que son fils dormait , Eustache tua le pélerin d'un coup de hache, puis , trainant le cadavre dans la grotte, il le dissimula dans une infractuosité de cette caverne qui n'était guère visitée à cette époque.

Le lendemain, ayant dit à son enfant que l'étranger avait continué sa route, le meurtrier se rendit à Genève où il vendit pour un bon prix son butin à un juif...C'est de ce crime qu'est née l'extraordinaire légende transcrite par l'abbé Benedict Truffey et que voici:

Un an s'était écoulé et le criminel qui avait pu agrandir notablement ses terres semblait n'avoir plus rien à craindre...Rentrant chez lui un certain soir il fut surpris par une terrible tempete. Un nuage livide, après avoir couvert Arith et la montagne de Banges,ouvrit avec fracas ses flancs que déchiraient des sillons de feu et d'où éclataient les voix redoublées du tonnerre, renvoyées par les monts d'alentour comme des craquements immenses et lugubres.

Eustache se trouvant alors près de l'ouverture de la grotte y pénétra pou y chercher asile et s'y enfonça profondément, s'y perdant même car les ténèbres de la caverne étaient semblables à celles de cette effroyable nuit d'orage...

Le calme revenu, l'homme veut regagner sa demeure,losrque , oh terreur ! une main froide saisit la sienne dans l'ombre...

-Pitié pour moi ! demande l'homme.

-Point de pitié, répondit le spectre avec un courroux concentré.

-Qui es tu, toi dont le coeur ne se laisse point attendrir à la voix qui t'implore ?

- Qui je suis ?...Ne me reconnais-tu pas ?

Il lui serra la main avec une épouvantable énergie; une lueur étrange éclaira les parois et les stalactites de la caverne, et Eustache reconnut avec effroi le pélerin...

- Quand tu oubliais Dieu, dit le fantôme, son regard et son bras étaient sur toi. Tu as eu un an pour te repentir: maintenant c'est le règne de la vengeance !

Et il l'entraîna jusque sur les bords du lac, où une année auparavant, le cadavre avait été précipité. Une barque noire y était amarrée; le fantome y poussa Eustache et la barque sillonnant en silence l'étang funèbre disparut dans les profondeurs mystérieuses qui s'étendent vers le nord-est...

Le lendemain, cherchant son père, le jeune homme se dirigea vers la grotte, et , croyant entendre une voix, s'écria:

-Oh mon père, où êtes vous ? Comment vous secourir ?

-Mon fils, écoute, et que ma punition te rende meilleur et plus heureux que moi.

Et d'expliquer son crime et son chatiment qui est de mourir dans ce souterrain en souffrant les angoisses de la faim et de désespoir..

-Et si quelqu'un, même toi, ô mon fils ! essayait de m'apporter des aliments, ma mort suivrait immédiatement cette tentative... Va, mon fils, va , distribue aux pauvres et aux moustiers les biens acquis par le forfait...Prie pour moi, ô mon fils, mais ne songe pas à me soulager...

Pendant huit jours l'enfant continua un lugubre dialogue avec son père meurtrier... Le condamné, en proie à une faim horrible, s'agitait dans des hoquets entremelées de paroles déchirantes...

Le huitième jour, le garcon n'y tenant plus se munit d'aliments. Entendant son père le supplier: "Oh qui adoucira le tourment que j'endure ? Mon fil, du pain !..."Il répondit:" Je vole à vous".

Il jette ses vêtements sur la rive et se précipite à la nage dans le lac en portant un pain.

Mais le lac se ride: une barque noire le parcourt sans voile ni rame. Elle s'arrete au bord du lac, et une main tire et pose sur le rivage le cadavre d'Eustache...Son exclamation et le zèle de son fils avaient haté son trépas. Craignant d'initier le public à l'infamie d'Eustache, le garcon confia le corps à une grotte latérale et fort étroite qui, sous la forme d'un croissant, s'ouvre dans la grande galerie, et aboutit, vers le nord, à une salle propre à servir d'ossuaire.

Le fils,après avoir exécuté les intentions de son père, se retira à la chartreuse d'Aillon...

En 1810, un patre d'Allières conduisait des étrangers dans cette grotte. A près de 130 m de profondeur, trouvant à gauche dans la galerie principale, un orifice semblable à celui d'un four, ils prièrent le jeune berger de s'y engager. S'y glissant avec peine parvint à une salle spacieuse où il découvrit, à sa grande terreur, des ossements humains. Il ramena aux touristes qui lui demandaient en souvenir une omoplate et un tibia: s'agissait-il du cadavre d'eustache?..

Cette lugubre histoire de spectre n'empecha pas de nombreux chercheurs d'or de venir en ces lieux, espérant y découvrir la richesse. Dans le pays, en effet, on est encore persuadé aujourd'hui qu'il existe des paillettes d'or melées au sable de cette grotte: n'oublions pas que le Chéran voisin est aurifère et qu'au commencement de ce siècle des orpailleurs l'exploitaient encore ...

En effet, déjà en 1752, dans une "statistique minière de la Province du Genevois", l'intendant général à Annecy constate que "plusieurs habitants de Genève sont venus à diverses reprises, et en un certain temps de l'année, de nuit avec de la lumière sur la communauté ci dessus, dans un endroit appelé Pont de Banges au dessus du village des Martinods, où l'on voit une grande et affreuse concavité, dans l'espérance d'y découvrir des mines d'or et d'argent. Cette espérance pouvait être fondée sur l'opinion qui règne assez communement dans cette paroisse de l'existence de ces minières: en conséquence de laquelle divers particuliers dudit endroit sont aussi entrés dans la meme concavité et pour la même fin. L'on ajoute que dans cette concavité se trouve une eau verte, dont le fond est du sable, qui contient des grains ou pailletttes d'or, et que les roches de cette caverne fournissent aussi un certain métal que l'on porte à Genève. Il faut pourtant bien de la hardiesse pour pénétrer dans ces endroits souterrains où l'on ne peut se conduire sans lumière..."

Texte tiré de HYPOGEES ("Les Boueux") Le rôle des cavernes dans le folklore savoyard . Bulletin de la section de Genève de la société Suisse de Spéléologie.
Par Jean Jacques Pittard

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