Introduction






Zénon d'Elée, philosophe de la seconde moitié du Ve siècle avant notre ère a mis en évidence certains paradoxes, dont le plus célèbre est celui d'"Achille et la tortue". Douglas Hofstadter met en scène ces héros :
 

Achille (guerrier grec, le plus leste de tous les mortels) et une Tortue sont ensemble, sur un chemin poussiéreux, sous un soleil de plomb.

[...]

« Ah ! murmura la Tortue, l'air rêveur, je pense à cette grandiose première proposition d'Euclide ! Aimez-vous Euclide ? »

« A la folie ! C'est-à-dire, autant qu'on PUISSE aimer un homme dont le traité ne sera publié que d'ici plusieurs siècles ! »

« Bien ; en ce cas, considérons une toute petite partie du raisonnement que contient cette première proposition, DEUX étapes, sans plus, ainsi que la conclusion qu'il en tire. Ayez la bonté de les inscrire sur votre carnet. Et, pour la commodité, appelons-les A, B et Z :

(A) Deux choses égales à une même troisième sont égales entre elles.

(B) Les deux côtés de ce triangle sont égaux à un même troisième.

(Z) Les deux côtés de ce triangle sont égaux entre eux.

 Tout lecteur d'Euclide admettra, du moins je le présume, que Z découle logiquement de A et B, et que, si l'on admet la vérité de A et de B, on est CONTRAINT d'admettre celle de Z ?»

« Sans aucun doute ! Le moindre élève de Lycée—dès que les Lycées seront inventés, c'est-à-dire dans quelque deux mille ans— admettra CELA. »

« Et si un lecteur n'avait PAS encore admis la vérité de A et de B, il pourrait cependant, du moins je le présume, admettre la VALIDITÉ de la SUITE des propositions ? »

« On pourrait probablement rencontrer un lecteur de ce genre. Il dirait sans doute : "J'accepte pour vraie la proposition hypothétique suivante : si A et B sont vrais, Z est nécessairement vrai, mais je ne reconnais PAS la vérité de A et de B." Ce lecteur aurait fort intérêt à renoncer à Euclide, et à s'orienter vers le football.»

Douglas Hofstadter, "Gödel Escher Bach" , (InterÉdition 1985).

   Une courte expérience d'enseignement des mathématiques au collège m'a permis de me confronter à un domaine particulier de l'enseignement des mathématiques : la démonstration. Elle est vécue par beaucoup d'élèves comme un véritable palier, pour ne pas dire butoir. Ceux-ci ont l'impression que l'enseignant leur demande quelque chose de totalement nouveau, et dont le sens leur échappe. En cas de difficulté, leur découragement est amplifié par ce qu'il reste d'une légende tenace, la "bosse des math", justification pseudo-scientifique d'un don qui nierait tous les efforts faits dans le sens d'un enseignement des mathématiques (et particulièrement de cette démonstration) :
"Il est vrai que certains élèves anticipent spontanément, et en général ceux qui sont devenus profs de maths fonctionnaient ainsi. Mais est-ce à dire que ce n'est pas  «enseignable » ? L'axiome selon lequel « tout ce qui est inné chez certains n'est pas accessible aux autres » est la pire des démissions de l'enseignement. Or cette résignation coupable est particulièrement répandue en mathématiques, tout simplement parce qu'on croit encore à la bosse des maths.
Peutêtre que le grand succès de cette célèbre bosse vient du fait qu'on avait envie d'y croire. Il faut un inconscient collectif particulièrement réceptif, voire demandeur, pour que parmi l'ensemble des travaux réalisés dans les années 1825 par un certain Franz Gall, passionné de mesures du crâne, seule la bosse des maths ait traversé le temps. « Le talent mathématique peut être détecté dès l'enfance par la craniométrie, la mesure des déformations de la boîte crânienne » : cette formule fut un détonateur dont, sans doute, l'auteur ne pressentit pas l'importance de l'impact.
Mais la facilité est toujours bien accueillie ! C'est tellement plus simple de faire le tri entre ceux qui savent « tout seuls » et les autres, plutôt que de chercher vraiment s'il est possible d'atteindre la compréhension vraie chez tous."
 (Sylviane GASQUET, "l'illusion mathématique " (Syros, 1997))

Sans faire de la démonstration une activité à part entière dès l'école primaire, il est possible de favoriser l'émergence et la maîtrise du sens de celle-ci et de certains de ses outils.
C'est un domaine mathématique souvent négligé à l'école primaire, pour plusieurs raisons :
• le seul extrait du programme qui le concerne est assez vague et court :
"Dans des situations variées, l'élève pourra : argumenter à propos de la validité    d'une solution".
• on y  utilise beaucoup de notions de façon implicite.
• il est associé à des mathématiques complexes et donc souvent "réservé" aux professeurs du collège.

Pourtant, conscients du rôle de sélection que continuent d'exercer les mathématiques, nous devons donner toutes leurs chances aux élèves en difficulté.
Et c'est justement parce que ce domaine utilise des notions de façon implicite qu'il faut l'aborder le plus tôt possible, avant que des conceptions faussées ne rendent la tâche trop difficile.
C'est justement parce qu'il appartient à des mathématiques complexes que l'enseignant de l'école primaire doit l'aborder, avec une vision différente de celle du professeur du collège

Y a-t-il des activités à mener dès l'école primaire qui permettraient aux élèves de se préparer à la démonstration? Quels aspects de celle-ci doit-on travailler? Comment permettre aux élèves qui auraient plus tard rencontré des difficultés dans ce domaine de les éviter?

suite :La démonstration
fin : il y en a marre, je me barre