Si la notion de vérité
mathématique reste difficile à traiter, les activités
pour l'établissement d'un langage commun peuvent permettre d'explorer
la complexité de cette tâche. Il est extrêmement difficile
pour un groupe de communiquer en éliminant toutes les ambiguïtés
d'un message. Ces activités de codification, menées régulièrement,
permettront à la classe de se rendre compte de l'importance du vocabulaire,
de la rigueur du langage mathématique. Ceci autorisera plus tard
l'utilisation de raccourcis de langage, en mathématiques et ailleurs,
car les élèves seront habitués à avoir défini
précisément leurs "raccourcis personnels". Je rappelle à
cette occasion ma méfiance envers l'utilisation de ces omissions,
de ces étapes implicites tant que tous les élèves
n'ont pas conscience de leurs équivalences et des limites de leur
utilisation (par exemple, pour le maître, utiliser une contraposition
sans revenir sur la compréhension de celle-ci).
Sans ces précautions,
les élèves peuvent ne pas se rendre compte des erreurs de
leurs formulations. Ils ne savent pas vérifier que le lecteur dispose
des informations necessaires pour retrouver les propriétés
qu'ils voulaient communiquer :
faire un carré de 8 cm
compter 2 cm à partir
de chaque côté,
faites un cercle qui passe par
chaque point des 2 cm
•"un carré de 8 cm" :
il n'est pas précisé de quelle longueur il s'agit. Mais,
dans la classe, l'énnoncé est compris comme : "un carré
de 8 cm de côté". Il faudra donc lutter contre ce raccourci,
mais en évoquant la communauté mathématicienne, et
en proposant des activités où la désignation des segments
sera nécessaire. Il faudra veiller, dans ce cas-là, à
ne pas lui donner un statut d'erreur de raisonnement car les élèves
ayant vu son efficacité, jugeront comme artificiel l'effort qui
leur est demandé pour y remédier.
•par contre, "compter 2 cm à
partir de chaque côté" n'est pas compris par les élèves
qui n'avaient pas connaissance de la figure. Ce raccourci n'est donc
pas une erreur de langage, mais une erreur de raisonnement . Il n'y a pas
les informations necessaires.
Pour donner un sens à
toutes ces activités, il faut se méfier de certaines habitudes
des mathématiques dites "scolaires" :
"Il faut absolument
comprendre qu'en mathématiques « réelles » on
rencontre vite autre chose que des calculs « justes ou faux ».
On rencontre des calculs qui, tout en ne contrevenant pas aux règles
algébriques, risquent de ne mener nulle part. C'est exactement comme
l'automobiliste qui s'égare sans pour autant faire d'infractions
au code de la route. Un regard dynamique et une capacité à
anticiper sont fondamentales pour trouver son chemin algébrique.
En mathématiques scolaires, tout est balisé d'avance. Tellement
balisé que lorsqu'un exercice pris dans un livre ne «s'arrange
pas bien », on évoque immédiatement la faute d'impression!"
(Sylviane
GASQUET, "l'illusion mathématique" (Syros, 1997)).
En effet, se poser des
questions sur la véracité d'une proposition dans un contexte
donné n'a de sens que si on parvient à imaginer cette proposition
dans d'autres contextes. Prouver une propriété n'a d'intérêt
que si l'élève a l'impression de gagner quelque chose, d'enrichir
la situation d'un outil nouveau. C'est donc se rendre compte que dans d'autre
cas, on ne disposera pas de cette propriété. Par exemple,
l'exercice déjà cité : "démontrer qu'un
cercle centré sur un sommet d'un losange et de rayon la longueur
des côtés du losange, passe par deux sommets du losange."
n'aura de sens que si l'on étudie les cas du rectangle non losange,
du parallélogramme quelconque, ...
Appauvrir ainsi le monde mathématique
prive certains élèves de la motivation nécessaire
à tant d'efforts. En essayant de rendre cette matière plus
simple, en en limitant les possibilités, en favorisant les exercices
d'application, ne leur compliquons-nous pas la tâche pour leur avenir
? Ces élèves ont peut être besoin de savoir pourquoi
nous leur demandons de faire certains choix, de connaître autre chose
que des cas qui "s'arrangent bien" pour s'en méfier ensuite, et
éprouver du plaisir à "poursuivre la vérité"
dans le jeu des mathématiques.