Que faire pour donner du sens aux
outils de la démonstration?
Donner du sens à la notion de vérité mathématique ne sera pas une chose aisée à l'école primaire. En effet, les mathématiques sont à la fois un domaine où l'on peut dire n'importe quoi ("... lorsque cette élève de quatrième trouve x = 32, x représentant le nombre de pattes d'un mouton, « à ma réaction étonnée, elle me répondit : " Oh, mademoiselle, en mathématiques... " ». Et cet enfant qui affirme « qu'une porte mesure 9 m, qu'une femme mesure 4,50 m, malgré le fait qu'il peut indiquer la longueur d'un mètre et d'un décimètre », ce n'est pas moi qui en témoigne, pas plus que de toutes les « aberrations » lues et entendues tous les jours, aussitôt que le mot mathématiques apparaît sur une feuille de copie ou dans l'emploi du temps. Le « en mathématiques, vous savez », je l'ai si souvent entendu, dans de si étranges circonstances, qu'il a bien fallu que je prenne en compte l'incroyable, I'inimaginable réalité : c'est « en » mathématiques que 2 peut être égal à 6, et pas ailleurs, c'est « en » mathématiques qu'on peut vous proposer « posons 4 = 7 » ; et pas ailleurs. "  (Stella BARUK, "L'âge du capitaine", (Seuil, 1985)), mais où il faudrait remettre en cause le postulat d'Euclide qui paraît si évident.
Dans les faits, il sera prudent d'orienter les activités vers la communication, et d'approcher la notion de vérité mathématique comme une extrapolation du langage commun qui sera mis en place dans le groupe classe. Les activités de justifications, de preuves à l'intérieur de la classe, seront confrontées à l'enseignant qui représentera pour cette occasion la communauté mathématique (on peut aussi imaginer pour ce rôle un personnage fictif comme le professeur Cantorbaki dans les ouvrages de Martin GARDNER).

Si la notion de vérité mathématique reste difficile à traiter, les activités pour l'établissement d'un langage commun peuvent permettre d'explorer la complexité de cette tâche. Il est extrêmement difficile pour un groupe de communiquer en éliminant toutes les ambiguïtés d'un message. Ces activités de codification, menées régulièrement, permettront à la classe de se rendre compte de l'importance du vocabulaire, de la rigueur du langage mathématique. Ceci autorisera plus tard l'utilisation de raccourcis de langage, en mathématiques et ailleurs, car les élèves seront habitués à avoir défini précisément leurs "raccourcis personnels". Je rappelle à cette occasion ma méfiance envers l'utilisation de ces omissions, de ces étapes implicites tant que tous les élèves n'ont pas conscience de leurs équivalences et des limites de leur utilisation (par exemple, pour le maître, utiliser une contraposition sans revenir sur la compréhension de celle-ci).
Sans ces précautions, les élèves peuvent ne pas se rendre compte des erreurs de leurs formulations. Ils ne savent pas vérifier que le lecteur dispose des informations necessaires pour retrouver les propriétés qu'ils voulaient communiquer :
faire un carré de 8 cm
compter 2 cm à partir de chaque côté,
faites un cercle qui passe par chaque point des 2 cm
•"un carré de 8 cm" : il n'est pas précisé de quelle longueur il s'agit. Mais, dans la classe, l'énnoncé est compris comme : "un carré de 8 cm de côté". Il faudra donc lutter contre ce raccourci, mais en évoquant la communauté mathématicienne, et en proposant des activités où la désignation des segments sera nécessaire. Il faudra veiller, dans ce cas-là, à ne pas lui donner un statut d'erreur de raisonnement  car les élèves ayant vu son efficacité, jugeront comme artificiel l'effort qui leur est demandé pour y remédier.
•par contre, "compter 2 cm à partir de chaque côté" n'est pas compris par les élèves qui n'avaient pas connaissance de la figure. Ce  raccourci n'est donc pas une erreur de langage, mais une erreur de raisonnement . Il n'y a pas les informations necessaires.
 
 

Pour donner un sens à toutes ces activités, il faut se méfier de certaines habitudes des mathématiques dites "scolaires" :
"Il faut absolument comprendre qu'en mathématiques « réelles » on rencontre vite autre chose que des calculs « justes ou faux ». On rencontre des calculs qui, tout en ne contrevenant pas aux règles algébriques, risquent de ne mener nulle part. C'est exactement comme l'automobiliste qui s'égare sans pour autant faire d'infractions au code de la route. Un regard dynamique et une capacité à anticiper sont fondamentales pour trouver son chemin algébrique. En mathématiques scolaires, tout est balisé d'avance. Tellement balisé que lorsqu'un exercice pris dans un livre ne «s'arrange pas bien », on évoque immédiatement la faute d'impression!" (Sylviane GASQUET, "l'illusion mathématique" (Syros, 1997)).
 En effet, se poser des questions sur la véracité d'une proposition dans un contexte donné n'a de sens que si on parvient à imaginer cette proposition dans d'autres contextes. Prouver une propriété n'a d'intérêt que si l'élève a l'impression de gagner quelque chose, d'enrichir la situation d'un outil nouveau. C'est donc se rendre compte que dans d'autre cas, on ne disposera pas de cette propriété. Par exemple, l'exercice déjà cité :  "démontrer qu'un cercle centré sur un sommet d'un losange et de rayon la longueur des côtés du losange, passe par deux sommets du losange." n'aura de sens que si l'on étudie les cas du rectangle non losange, du parallélogramme quelconque, ...
Appauvrir ainsi le monde mathématique prive certains élèves de la motivation nécessaire à tant d'efforts. En essayant de rendre cette matière plus simple, en en limitant les possibilités, en favorisant les exercices d'application, ne leur compliquons-nous pas la tâche pour leur avenir ? Ces élèves ont peut être besoin de savoir pourquoi nous leur demandons de faire certains choix, de connaître autre chose que des cas qui "s'arrangent bien" pour s'en méfier ensuite, et éprouver du plaisir à "poursuivre la vérité" dans le jeu  des mathématiques.

suite : Quelles activités pour l'école primaire?

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