Quelles activités pour l'école primaire?

L'objectif, à l'école primaire, ne sera donc pas de maîtriser la notion de  démonstration dans sa globalité, ni d'établir des démonstrations complexes.
J'ai donc mis en place (ou prévu de le faire) un certain nombre d'activités pour faciliter l'assimilation du sens et des outils de la démonstration :
•favoriser l'établissement d'un langage précis et commun
•modéliser et structurer un problème
•définir, utiliser des propriétés
 

Pour mener à bien ces activités, j'ai été accueilli dans une classe de CM2, chez Jean Rhoddes, à l'école Léon Blum de Longvic.

Cette classe se compose de 25 élèves.

D'après son instituteur, c'est une classe d'un bon niveau, entraînée par une bonne dizaine d'élèves. Les enfants sont vifs et attachants, mais ils ont parfois du mal à se situer dans leurs rapports sociaux, surtout en ce qui concerne leur place à l'école et par rapport au rôle du maître .

Ils m'accueillent avec plaisir.

I- La "traduction" pour justifier
La course à N, le dernier déménageur…

Il s'agit de deux activités de jeu par équipe, qui peuvent être représentées par la même structure. L'intérêt particulier de ces activités ludiques est l'existence d'une stratégie gagnante, bien sûr commune aux deux jeux.
Ces activités ont été les premières que j'ai menées dans la classe.
 Je nommerai "problème" le jeu présenté ici lorsque je parle de la recherche de solutions pour parvenir à la victoire.

I.1- Objectifs principaux

Favoriser la justification argumentée comme solution à un conflit socio-cognitif
Il s'agissait bien sûr d'introduire le sens de la justification dans les mathématiques pour la première séance. L'idée du jeu par équipe est apparue immédiatement : l'équipe implique une décision prise en commun, donc discutée si tout se passe bien. L'enjeu (la victoire face aux adversaires) est une motivation pour la réflexion individuelle, mais il provoque aussi un besoin d'être convaincu (par les partenaires) avant de jouer.

Présenter la modélisation comme moyen de mieux comprendre le fonctionnement d'un type de problème
Le problème était présenté sous deux formes. Les élèves devaient remarquer à l'issue de la séance (les deux formes de solutions étant explicitées par les élèves qui ont participé à chaque jeu) que les deux problèmes  peuvent être mis sous la même forme. Il ne devait pas y avoir une "bonne représentation", mais chacun devait en trouver une qui lui corresponde, parmi celles présentées, et comprendre qu'elle était "transférable" en n'importe quelle autre.
Il était important de présenter ces deux formes en même temps, afin de lier cette structuration avec non pas un problème, mais un type de problème. Il serait intéressant de reproduire cette situation (une structure pour plusieurs problèmes) en décalant l'apparition des différents problèmes dans le temps, donc d'aborder le second jeu après maturation des apprentissages du premier.
 
 

I.2- Les activités

La classe est tout d'abord séparée en deux groupes : les uns joueront à "Qui dira 53?", les autres au dernier déménageur, avant une mise en commun : expliquer aux autres comment "bien" jouer à son jeu

I.2.a- La course à N : QUI DIRA 53?
6 équipes de 2 (et une de trois) sont constituées.
Le jeu oppose deux équipes, son but est de parvenir à 53 en ajoutant au nombre donné par l'équipe adverse un nombre compris entre 1 et 5 (inclus). Le nombre de départ est fixé (0) et chaque équipe commence le jeu alternativement.

La stratégie gagnante est d'obtenir l'un de ces nombres :
5, 11, 17, 23, 29, 35, 41, 47
puis d'ajouter au nombre obtenu par l'équipe adverse le "complémentaire" permettant d'obtenir le nombre suivant dans la liste ci-dessus, ceci jusqu'à 53.

Une grille est distribuée, et remplie par les équipes, pour permettre une analyse, en cours de jeu pour les élèves, et ensuite pour moi.

exemple de production d'élèves :
 
 

Déroulement :

Trois couples d'équipes s'affrontent :
Après 15 minutes (3 ou 4 parties), une seule équipe (Florian-Imade) prend l'ascendant de façon systématique en ayant repéré l'étape du nombre "41" pour obtenir le "47" puis le "53". De plus, la technique utilisée pour obtenir le "41" étant d'obtenir les multiples de 5, l'équipe est en fait victorieuse dès le nombre "35". C'est la seule équipe à avoir trouvé une stratégie efficace, les autres équipes ne parviennent à concevoir la victoire qu'après avoir obtenu "47". Mais, lors du changement d'équipes adverses (les équipes restent les mêmes), je les incite à réfléchir sur ce qu'ils ont fait, et deux équipes oralisent le fait que leur but est d'atteindre "47". Ces équipes sont les adversaires de la première (Aïcha-Benoît) qui ont entendu les réflexions de Florian et de Imade, et l'équipe (Anaëlle-Aurore) que nous nommons donc comme nouveaux adversaires de l'équipe (Florian-Imade). Deux autres équipes, sans que je puisse l'entendre, ont dû s'en rendre compte, car il ne commettront plus d'erreur lors de la partie suivante (qui les oppose) : chaque équipe atteindra "47" dès qu'elle en a la possibilité.
Il ne reste donc qu'une seule équipe (Bénédicte-Leslie) qui n'a pas repéré cette étape, et qui obtiendra deux fois "41" lors de cette seconde confrontation, sans obtenir "47" ensuite, et donc en perdant ces parties.
Les premières parties opposant les deux équipes (Florian-Imade) et (Anaëlle-Aurore) sont remportées par la première équipe, grâce à la tactique décrite précédemment. La seconde équipe a l'impression de ne pas pouvoir gagner, car elle tente de faire varier la partie que trop tard (voir le document). Mais un encouragement de ma part ("regardez bien ce qui s'est passé...") provoque une réflexion, et le nombre "35" est repéré comme une étape nécessaire. L'équipe (Florian-Imade) réagit en changeant sa tactique, mais le temps manque pour qu'elle parvienne à reprendre le dessus :voir le document en page suivante.
L'heure de la mise en commun arrivant, les équipes se rassemblent pour mettre au point une stratégie à expliquer aux autres élèves : la suite de nombres est enfin établie,  mais après une partie jouée rapidement tous contre moi (ils ont décelé une technique particulière, mais n'ont pas eu le temps de relever les nombres utilisés. Il leur a donc fallu comprendre et reconstruire cette liste).

La partie entre Florian-Imade et Anaëlle-Aurore :
 
 QUI DIRA 53?
équipe A : Florian-Imade
équipe B:Anaëlle-Aurore
partie 1
A
B
5
10
13
15
16
20
23
25
26
30
33
35
36
41
43
47
48
53
partie 2
A
B
5
10
13
15
16
20
23
25
26
30
33
35
36
41
42
47
52
53
partie 3
A
B
5
10
13
15
16
20
23
25
26
30
35
40
41
42
47
48
53
partie 4
A
B
5
10
13
15
16
20
23
24
26
28
29
32
35
36
41
42
47
48
53

 
 

I.2.b- Le dernier déménageur :
6 équipes de 2 sont constituées.
Le jeu oppose deux équipes. 40 cubes étant disposés sur la table, le but est de retirer le dernier cube, sachant que chaque équipe retire alternativement 1,2 ou 3 cubes. Seul le résultat est noté par les élèves, le déroulement du jeu est observé.
La stratégie gagnante consiste à toujours laisser sur la table un multiple de 4 de cubes.

Déroulement :

L'organisation est semblable à celle de "Qui dira 53?". Le changement d'adversaires se fait en décalage avec cet autre jeu, ce qui oblige à un temps de jeu assez court pour la première période, et assez long ensuite, jusqu'à la mise en commun.
Les résultats (nombre de victoires pour chaque équipe) ne sont pas réellement significatifs, car la recherche des stratégies se fait au vu de l'autre équipe, en manipulant les cubes (en particulier en formant des groupements de quatre cubes, en fin de séance) et donc ce n'est pas une équipe qui cherche, mais deux (les quatre élèves discutent des solutions).
Dès les premières parties, la fin du jeu est discutée, essayée et représentée : les élèves font un inventaire des solutions qui se présentent à eux : "si on en laisse X, que vont-ils faire..."
La prise de conscience qu'il faut impérativement en laisser 4 à la fin pour être sûr de la victoire apparaît pour tous dès la troisième partie, donc avant le changement d'adversaires.
La seconde période du jeu commence avec l'élaboration, dans les trois confrontations, d'une stratégie pour en laisser 4, une seule équipe est déjà arrivée à la conclusion qu'il fallait en laisser 8, en utilisant la même technique que précédemment (essayer tous les cas), donc sans reporter le raisonnement. Mais même cette équipe doit poursuivre ses recherches, car cette découverte n'est pas suffisante (l'équipe adverse, sans avoir conscience de cette stratégie, en laisse 8, et se rend compte ensuite du résultat que cela engendre).
Le fait de mettre les 4 cubes "à laisser en dernier" à part, aide les équipes à reporter sa stratégie de fin de jeu sur 4 autres cubes. Dès que les deux premiers groupements de 4 sont faits, l'idée de le faire sur tout le tas de cubes s'impose. Cette solution est visuelle et proche de ce que les autres équipes sont capables de trouver : malgré la dispersion dans la salle de classe, toutes les équipes le font immédiatement.
Ensuite s'installe une discussion sur l'équipe vainqueur ("c'est ceux qui ne commencent pas"), et nous imaginons ensemble le cas d'un nombre différent de cubes au départ.
Puis les élèves mettent au point la réponse à la question "Comment doit-on faire pour bien jouer au dernier déménageur?"

I.2.c-La mise en commun
Deux joueurs, chacun "représentant" son jeu, expliquent les règles de leur jeu, et exposent donc tour à tour leur stratégie gagnante. Pour "Qui dira 53", il s'agit d'une reconstitution, alors que pour le dernier déménageur, l'élève (Pierre) dessine au tableau les 40 cubes, par groupes de 4, et explique sa technique sur un groupe, en disant "de faire la même chose avec les autres tas de 4". A la suite de demandes de ses camarades, il explicitera en faisant lui aussi une reconstitution de partie.

I.3- Bilan

Le choix des activités :
La recherche de la solution : La solution mise en place pour la fin de la partie ramène à la même problématique, mais à une étape antérieure du jeu. (par exemple, il faut laisser 4 cubes pour gagner au dernier déménageur. donc, pour gagner, il faut enlever le dernier cube d'un tas composé des 36 autres cubes. C'est le même jeu avec moins de cubes). Il leur faudra donc ré-appliquer cette même solution au coups antérieurs, et remonter ainsi jusqu'au début de la partie, pour savoir comment jouer dès le départ. On va ainsi apprendre à faire un choix pour se ramener à une situation favorable, mais sans avoir prévu tous les cas possibles.

Faire des jeux : le but explicite (expliquer comment "bien" jouer) n'est pas donné au début de l'activité. Néanmoins, les élèves savaient que je leur ferais faire "des mathématiques". Faire des jeux lors de ma visite a donc immédiatement été compris comme "trouver la stratégie pour gagner". En cours de partie, l'envie de la remporter reste malgré tout la motivation la plus directe, plus que de trouver la solution "mathématique" à un problème. Le jeu permet ainsi d'éviter la recherche de la "réponse pour le maître", et favorise une relation directe entre le problème posé et sa solution. Par contre, lors de la mise en commun, la motivation repose sur le fait de devoir expliciter aux camarades la réflexion du groupe à propos d'une stratégie. L'enjeu est devenu mathématique, sans pour autant diminuer le plaisir de la recherche.

"Qui dira 53?" : le support des nombres pour cette activité, et le retour en arrière facilité par l'écriture devait amener rapidement à une modélisation du problème à l'aide, par exemple, de la droite numérique. Mais le nombre à atteindre (53) et l'amplitude du choix (1, 2, 3, 4, 5) ne l'ont pas permis. Dans les faits, les élèves ont raisonné autour des nombres "clefs" (47, 41, ...) de façon indépendante, sans en reporter les conclusions systématiquement sur les étapes précédentes. Mais le temps passé à jouer était peut- être un peu court, et de nombreux changements d'équipes auraient sans doute permis l'émergence de la stratégie gagnante. Ce jeu est très intéressant de part la trace écrite naturelle sur laquelle nous pouvons ensuite revenir. Mais l'évidence de la stratégie n'est pas forte pour tous. Il n'y a que les reconstitutions qui ont convaincu vraiment tous les élèves, l'explication théorique n'ayant une réalité que pour les deux dernières étapes (47 et 41).

Le dernier déménageur : le support physique des cubes joue un rôle essentiel dans la résolution de ce problème : le fait de se ramener à une situation ressemblant fortement à la situation de départ après avoir mis de côté 4 cubes, a déclenché facilement une systématisation de cette technique. Mais les explications, la justification, sont restées attachées à ce cas particulier (40 cubes, choix de 1, 2 ou 3) par l'intermédiaire du dessin.
Cette forme facilite donc une certaine structuration, mais ne permet pas une vision globale de  ce type de problème : les élèves y ayant joué m'ont paru avoir moins de facilité que les autres à reconnaître que ces deux jeux se ressemblaient .
Mais surtout, ce qui m'a surpris, c'est que les élèves n'ont pas présenté, lors de la mise en commun, leur activité comme un jeu, puisqu'ils en avaient compris le fonctionnement. Ils pouvaient déterminer le gagnant à l'avance, et la notion de jeu avait donc disparu. La reconstitution a été nécessaire pour redonner ce sens-là, et permettre aux autres élèves de comprendre, non pas la stratégie, mais le but de celle-ci.

Par rapport aux objectifs :

La justification : le fait d'être deux dans les équipes n'a pas réellement permis pour tous les couples l'instauration de la justification, de l'argumentation, comme réponse à un conflit socio-cognitif : la décision était prise unilatéralement par celui qui dirigeait l'équipe (sauf dans un cas où la décision était prise alternativement dans chaque partie, donc là aussi sans discussion). Par contre, cette argumentation est apparue lors de la mise en commun : tout d'abord lors de la discussion entre joueurs d'un même jeu, pour savoir comment présenter la solution, puis avec toute la classe, pour justifier et expliquer. Mais ce sont des situations où tout le monde ne parle pas. Et je dois reconnaître que ceux qui ne parlent pas étant très discrets, je n'ai pas pu me rendre compte de leur compréhension.
L'objectif de ces activités étant de permettre à tous d'accéder à certains savoirs, il n'est bien sûr pas souhaitable de laisser certains élèves de côté.
Malgré cela, l'obstacle décelé ici m'a essentiellement semblé social. Ce silence avait l'air dû à un manque d'envie de prendre la parole, et non à une incompréhension ou à un désintérêt.
De plus, dans le cadre d'une pratique régulière de ce type d'activité, chacun devra présenter à son tour les reflexions de son groupe. Et cette activité, si elle n'implique pas de compétence particulière d'anticipation, permet de développer la rigueur du langage, la logique, ...
On évite ainsi de creuser les écarts existants...
La modélisation pour mieux comprendre : il est apparu assez clairement que le fait de confronter les deux jeux a provoqué un déclic chez certains élèves, en particulier des élèves ayant participés à "Qui dira 53?" qui ont manifesté par des exclamations leur prise de conscience du fonctionnement de leur jeu. Je pense que c'est surtout cette idée de "complémentaire" qui s'est imposée à ce moment-là, le fait d'être certain de pouvoir obtenir le nombre recherché à l'étape suivante, quoi que fasse l'adversaire.
 
 

Prolongements

Nous pourrions introduire, après de tels jeux, des activités où la modélisation soit plus éloignée de la représentation du problème, pour permettre une habitude de l'abstraction, et pour constater son efficacité. par exemple :
•nombre de trajets de A vers B (d'une longueur totale minimale)

Une structuration possible de la solution consiste à calculer le nombre de trajets possibles pour les points intermédiaires (les carrefours), grâce à ce même calcul déjà effectués pour les carrefours précédents :

Chaque nombre représente le nombre de trajets différents possibles pour parvenir à ce point.

•nombres de menus possibles à partir d'une carte
Une modélisation en arbre est possible...

•nombre de matchs nécessaires pour organiser un tournoi de tennis entre 32 joueurs, puis 25
Nous pouvons raisonner avec des arbres, puis remarquer qu'il faut autant de matchs que de joueurs à éliminer... Là, cette solution est très éloignée de la représentation graphique, et fait intervenir ce que MARTIN GARDNER nomme un "HaHa" mathématique, un "éclair de compréhension". C'est un côté plaisant et amusant de la structuration, mais qui apprend aussi à trouver une solution en prenant du recul, en changeant son point de vue : ici, on ne raisonne plus en organisation de matchs, mais en nombre de joueurs éliminés.

II- L'établissement d'un nouveau langage

II.1- Objectifs principaux

Différencier le langage courant du langage en mathématique
Il s'agit surtout de prévenir l'élève des contresens, des confusions et des pertes de sens que pourrait provoquer l'utilisation du langage courant en mathématiques, et donc de justifier la réflexion autour de l'établissement d'un langage différent et spécifique.

Etablir un langage approprié à notre utilisation mathématique
Construire ou valider un langage en étant conscient de nos besoins, et permettre l'émergence d'un lien entre les spécificités de ce langage et certains domaines mathématiques (logique, définition, propriété,…)
 

II.2- Les activités : Le deux fois plus grand, Le texte de figure, Le LOGO

II.2.a- Le deux fois plus grand :
Ceci constitue la deuxième séance, la classe est partagée en deux groupes :

• Groupe 1 (10 élèves) : une seule dimension?
le choix des activités devrait les inciter à concevoir le "deux fois plus grand" comme le fait de multiplier par deux une seule des deux dimensions :
 
 


• Activité 1 : l'immeuble









Le choix de l'immeuble (ce qui importe, c'est sa hauteur), le fait qu'un immeuble deux fois plus large ne tienne pas sur la feuille (mais j'autorise à dessiner au dos de la feuille lorsqu'on me le demande), devait les inciter à dessiner un immeuble deux fois plus haut. Ce qui a été le cas pour cinq d'entre eux :
5/10 :  deux fois plus haut
3/10 :  deux fois plus large, haut et profond (toutes les dimensions)
1/10 :  ni l'un, ni l'autre (dessin à la main, sans mesure précise)
1/10 :  rien

• Activité 2 : la piscine








Le problème a été résolu individuellement, et deux élèves ont fait un dessin correct. Puis j'ai fait une remarque pour motiver un retour collectif sur cette activité. J'ai bien précisé qu'il devait "y avoir dans cette nouvelle piscine autant de place pour 10 clients qu'il n'y en avait pour 5 dans l'ancienne piscine, par exemple". Les élèves proposent de nouveaux exemples de nombres de clients...
Les élèves me demandent alors si la piscine doit être "comme l'ancienne, pour la forme". Je réponds qu'elle peut être d'une forme différente, mais qu'elle doit être deux fois plus grande pour accueillir le double de clients.
5 élèves ont refait leur dessin en le corrigeant, et un élève qui hésitait encore fait un dessin correct :
3/10 : dessin correct (surface multipliée par 2)
5/10 : le dessin du début (surface multipliée par 4) a été corrigé
2/10 : le dessin est celui d'une piscine dont les deux dimensions visibles sont multipliées par 2 (donc la surface multipliée par 4)
• Groupe 2 (11 élèves) : les deux dimensions?
Le choix des activités devrait les inciter à concevoir le "deux fois plus grand" comme le fait de multiplier par deux les deux dimensions de la figure :

• Activité 1 : le bonhomme :
 

Je pensais que le "bonhomme" inciterait les élèves à conserver les  proportions, mais en fait, l'utilisation courante et exagérée de "deux fois plus grand" pour comparer la taille de deux hommes et la complexité du tracé incitent à faire des dessins peu précis, avec une taille supérieure de 10 à 20 %, avec une forme plus ou moins proportionnelle. Seuls deux dessins ont leurs deux dimensions multipliées par 2, et deux autres dessins ont juste la hauteur de la silhouette multipliée par 2 (le grand maigre?)
2/11 : hauteur et largeur multipliées par 2
2/11 : seule la hauteur est multipliée par 2
7/11 : indiscernable

• Activité 2 : le carré :
 

La donnée des mesures de côtés, la complexité de la construction du carré double (carré dont l'aire est le double du premier) a amené tous les élèves (sauf une, Maude) à dessiner un carré dont les longueurs des côtés ont été multipliées par 2 (l'aire a donc été multipliée par 4)
10/11 : hauteur et largeur multipliées par 2
1/11 : seule la hauteur est multipliée par 2, le dessin obtenu n'est pas un carré.

• Activité 3 : la télévision.
 
 

Les télévisions ont des proportions fixées (pour les écrans tout du moins). Les cotes n'étaient pas indiquées, mais les flèches étaient dessinées pour les deux dimensions. Ceci devait inciter là aussi à multiplier par deux la hauteur et la largeur. Tous l'ont fait à part Maude, qui a là aussi uniquement multiplié la hauteur par deux.
10/11 : hauteur et largeur multipliées par 2
1/11 : seule la hauteur est multipliée par 2

• Réunion des deux groupes

Je donne à chaque élève de la classe une feuille où est dessiné un rectangle (4cm x 8cm), et je demande à tous la même chose : dessiner un rectangle deux fois plus grand, sans autre consigne.
Les résultats attendus étaient le dessin :
•(A) d'un rectangle dont les deux dimensions étaient multipliées par deux (16cm x 8cm)
•(B) d'un rectangle dont seule la longueur était double (16cm x 4 cm)
•(C) d'un rectangle dont seule la largeur serait multipliée par deux : un carré de 8 cm de côté.

Je pensais bien sûr avoir incité les élèves du groupe 2 à donner la réponse (A), et ceux du groupe 1 à donner la (B) ou la (C), ce qui a été fait, si on considère que la réponse (A) paraissait plus naturelle à la plupart des élèves :

groupe 1 :
5/10 : réponse (B)
4/10 : réponse (A)
1/10 : tracé à la main, ni l'une ni l'autre réponse

groupe 2 :
10/11 : réponse (A)
1/11 : réponse (B) (toujours Maude)

L'influence des expériences précédant cette dernière activité étant visible, je pose alors à la classe deux questions :
•"Pourquoi y-a-t-il cette différence?"
les élèves me répondent qu'ils avaient l'habitude de faire ainsi : "C'est comme ça qu'il fallait faire, avant"
•"Quelle réponse était la bonne?"
Un débat animé s'engage entre les deux groupes, en prenant comme exemple et justification les activités menées avant cette dernière. Le problème "la piscine" apparaît comme un argument fort, car il a été "résolu" avec moi, et il est le seul à comporter une définition exacte du "deux fois plus grand" demandé et donc à avoir une réponse correcte. Il ressemble donc à un exercice standard des mathématiques.

Je fais donc une mise au point :
Personne n'a raison (sauf pour l'activité "piscine", ...) parce que "deux fois plus grand" n'a pas de signification précise en mathématiques

Nous établissons donc une conclusion collective :
•cet exercice n'était pas "mathématique"
•il faut se méfier de ses habitudes
•que dirait-on pour être tous d'accord? (deux fois plus haut, dont la longueur des côtés est multipliée par deux...)
 
 

Bilan de ces activités

Les habitudes ont été prises (influence sur les résultats), et je pense que les élèves ont bien remarqué cette influence.
L'envie de savoir qui avait raison reste inassouvie. Je pense que la méfiance envers le langage courant est installée, mais je ne sais pas si le besoin d'utiliser ou de construire un langage spécifique est ressenti par tous.
Il est dommage que je n'aie pas repéré le cas de Maude, pour savoir ce qui la motivait dans ce choix, et pour faire une remarque sur la recherche historique du carré double, et la solution géométrique de Socrate :
«Socrate, un jour, fait venir un esclave, trace sur le sol un carré de côté deux pieds et lui demande de trouver le côté d'un carré d'aire double.
Première réponse de l'esclave : il faut doubler le côté du carré. Guidé par Socrate l'esclave se rend compte qu'en doublant le côté il a quadruplé l'aire du carré au lieu de la doubler. Le carré de côté quatre pieds est donc trop grand, il faut pourtant prendre plus de deux pieds : il ne reste qu'à essayer avec trois pieds qui à son tour ne convient pas. C'est l'impasse et l'esclave s'énerve quelque peu : "Mais par Zeus, Socrate, je ne le sais pas !".
Pourtant Socrate lui avait suggéré d'abandonner la perspective numérique : "et si tu préféres ne pas donner un chiffre, montre en tout cas à partir de quelle ligne on l'obtient". Socrate accole alors trois carrés au carré initial pour former un carré quatre fois plus grand : le problème, géométrique cette fois-ci, est de tracer un carré qui soit la moitié de ce nouveau carré.

Or, une diagonale partage un carré en deux parties égales : il suffit donc de partager chacun des quatre carrés par une diagonale judicieusement choisie. L'esclave voit enfin une solution au problème posé. »
(I.R.E.M., "Histoire de problèmes, histoire des mathématiques" (ellipses, 1993)).

Cette anecdocte représente d'ailleurs une activité possible...
II.2.b- Le texte de figure
 
 

Déroulement :

Avant la séance "Le texte de figure" :
Pour préparer cette prochaine séance, je distribue rapidement le dessin d'une figure (la même pour tous) à des groupes de 4 élèves, et leur demande d'expliquer par un texte comment reproduire cette figure. Je donne un exemple de situation (faire reproduire cette figure à quelqu'un au téléphone) pour bien fixer les contraintes.
 
 

trois exemples de textes recueillis :

• Fais un carré de 8 sur 8.
A l'intérieur fais un cercle avec le compas avec un écartement de 2 cm.
Puis fais un trait de 8 cm sur le bas du carré. Et fais un triangle de 4,5 cm

• Trace un segment de 16 cm.
Au début du segment trace un carré de 8 sur 8 cm.
A l'intérieur du carré trace un cercle de 4 cm de diamètre.
A la fin du segment trace un triangle de 4 cm de longueur et de largeur.

• Faire un carré de 8 cm
compter 2 cm à partir de chaque côté
faites un cercle qui passe par chaque point des 2 cm.
à partir du bas gauche du carré, tracez un trait droit de 8 cm.
au bout du trait, faites un trait de 4,5 cm.
faites un autre trait de 4,5 cm qui se croisent au milieu.

J' effectue au tableau quelques figures qui respectent les consignes de leurs textes, mais qui sont très éloignées du modèle. Je leur explique que leurs instructions doivent être si précises et claires que même en étant de très mauvaise foi (ce qui était mon cas, car je m'éloignais autant qu'il était possible de le faire de la figure ayant servi de modèle) le récepteur devait être contraint de reproduire la figure voulue.
 
 

L'activité "Le texte de figure"

Des groupes de 3 ou 4 élèves sont constitués. Chaque groupe reçoit le dessin d'une figure qu'il doit décrire par un texte, afin qu'un autre groupe puisse reproduire la figure sans la voir.
Les groupes ont environ 20 minutes pour rédiger le texte, puis ils reçoivent le texte d'un autre groupe et dessine la figure qui leur semble lui correspondre.

Les productions sont affichées, comparées à la figure initiale. Les groupes défendent leur texte, mais admettent tous au minimum des insuffisances.
La classe réfléchit oralement sur une idée de texte pour un exemple.

exemples de productions :  (le dessin original se trouve au dessus des feuilles)
 
 

Trace un carré de 8cm sur 8cm
Choisis un sommet
Pique ton compas sur le sommet
Ouvre-le de 2cm et trace un cercle
Efface ce qu'il y a à l'intérieur du cercle
Prends le sommet à droite ou à gauche du cercle
Trace une droite diagonale qui part du 2° sommet que tu as choisi et qui s'arrête à trois cm du bout.

Note : Il n'y a pas eu pour ce texte de réalisation de figure (manque de temps).

Trace un cercle au compas de 2 cm de diamètre. Trace un carré de 8 cm qui passe au centre du cercle. Effacer la partie du carré qui est dans le cercle. Trace un carré de 2 sur 2 dans un angle sauf celui dans celui qui est opposé. Tracer un rectangle à partir du petit carré de 12 sur 4 cm.

Tracez le segment AB de 6 cm. L'écart du compas doit faire 6 cm. Piquez en A et faîtes un quart du cercle. Recommencer pour B. Appelez votre point C. Joignez A et C et CB . Choisissez un sommet. Sur un deux traits qui le composent, placez votre règle et faîtes un petit trait à 1,4 cm. Même chose pour l'autre côté. A partir des 2 traits, tracez à l'extérieur du triangle 2 segment de 4,4 cm. Joignez à l'intérieur les 2 traits.
Bilan de cette activité :
Par rapport aux objectifs principaux, la méfiance envers le langage est bien assimilée. Les élèves étaient persuadés qu'il leur serait aisé de faire dessiner une figure à l'aide d'un texte. Ils sont vraiment surpris de ces limites.
Par rapport à l'établissement d'un langage spécifique, c'est une activité à poursuivre, car les groupes ne sont pas encore parvenus à un langage précis, mais d'énormes progrès sont apparus depuis la pré-séance :
•les points sont décrits avec beaucoup plus de précision à l'intérieur des figures
•il y a une véritable recherche sur la construction des figures (l'équipe Anaëlle-Aurore-Jonas reconstruit la technique de tracé d'un triangle équilatéral, et l'écrit dans son texte)
•l'orientation est prise en compte ("sommet à droite ou à gauche")
•le cercle est repéré par son centre (et son rayon ou un point du cercle)
De plus, faire réaliser la figure d'un texte  par plusieurs groupes permettrait un jugement plus juste et plus précis des erreurs du groupe émetteur.

II.3- Bilan
 Il est prévu des séances de programmation LOGO (voir "autres activités") afin de progresser vers un langage sans ambiguïté, mais cette activité déjà a provoqué une réelle envie de continuer dans cette recherche de la part des élèves, qui ont tous été dans les deux rôles, et qui se prennent au jeu de parvenir à communiquer ces dessins de figures.
Durant toutes ces activités, les élèves ont été attentifs, interessés, et surtout déroutés : que les mathématiques dépendent à ce point du langage est visiblement surprenant à leurs yeux. L'inconscience de cette difficulté doit nous inciter à poursuivre dans cette voie. Cela permettra peut-être à certains élèves de mieux pouvoir se rendre compte de ce qu'ils savent faire ou pas, de mieux comprendre leurs lacunes ou leurs forces.

III Autres activités

III.1- Les définitions et propriétés
La définition est ici considérée comme un ensemble de propriétés caractéristiques qui permettent de reconnaître et d'utiliser l'objet mathématique concerné.
Il faudra construire des activités pour permettre aux élèves une meilleure assimilation des concepts de définition et de propriétés, pour favoriser la prise de conscience (puis l'utilisation) des liens entre les objets mathématiques, pour aider la construction des articulations d'un raisonnement.
Les définitions devant permettre à la fois une reconnaissance des objets en cas de doute, et fournir à celui qui justifie les arguments nécessaires pour transformer la proposition de départ. Il faut donc parvenir à généraliser, et à vivre la carré comme un objet mathématique pouvant prendre plusieurs formes, mais toujours attaché à certaines propriétés :
quel que soit le carré rencontré, il vérifiera ces propriétés.
si nous parlons du carré, nous parlons de tous les carrés.

exemples d'activités en géométrie :

"Devinez la propriété" :
L'animateur pense à une propriété, et dessine des exemples au tableau en indiquant si la figure dessinée a cette propriété ou si elle ne l'a pas.
Cette activité permet le lien entre une propriété et plusieurs figures (et non pas une seule) et incite les élèves à faire de multiples essais lors d'une recherche. Ils peuvent ainsi, en proposant des figures à l'animateur, se représenter un type de figure...

"Construisons la définition"
Lors d'une rencontre avec un objet mathématique particulier, la classe propose une ou plusieurs définitions. L'animateur expose alors différentes figures, et la ou les définitions sont utilisées pour trier les figures présentes. On compare ensuite avec le tri attendu, on ajuste les définitions...
Les définitions et propriétés doivent être utilisées et réinvesties lors de l'identification des figure usuelles dans des figures complexes (au programme du cycle III)

III.2- Les "démonstrations" graphiques...

Dès le début de son apprentissage, l'élève doit être conscient des limites de l'outil utilisé. C'est ce qui donnera du sens à la rigueur exigée lors de ces activités, et ce qui permettra de ressentir la "force" de la vérité scientifique.
"64=65 ?" : Cette activité, très connue, est efficace pour apprendre aux élèves à se méfier de l'"évidence graphique" :
 
 

Après découpage du carré selon les traits, on peut recomposer un "rectangle" :
 
 

Le calcul des aires donne 64 pour le carré, et 65 pour ce pseudo-rectangle.
Il est utile de prévoir une construction à grande échelle pour faire visualiser le non-alignement des points... puis de revenir sur le calcul des aires pour "prouver" que ce n'est pas un rectangle, si la classe accepte vraiment le calcul d'aire comme propriété.

III.3- Les discussions

Il faut, pour donner son sens à la démonstration, qu'elle apparaisse comme justification, comme conclusion à un conflit.
Il faut donc profiter des domaines qui sont à la portée d'une justification mathématique à l'école primaire :
Par exemple :
-la longueur du rectangle (donnée) est le double de sa largeur (donnée aussi).
-le cercle (bien préciser que c'en est un ) est centré sur un sommet du rectangle, et passe par le sommet consécutif le plus proche (qui sera nommé, mais il faudra bien veiller à définir avec précision les noms des sommets).

Nomenclature utilisée pour l'exemple :
ABCD rectangle avec AB = 8 cm et BC = 4 cm
* cercle centrée sur A et passant par D
I point d'intersection de * et [AB]
    (*)

Accompagné d'un questionnement (en utilisant la nomenclature définie) :
-le point I est-il plus près du point A ou du point B ?
-ou : le point I est-il le milieu du segment [AB] ? (la discussion aura pour cause les approximations des mesures "à la règle")
-ou : quelle est la longueur du segment [IB] ?

III.4- LOGO (langage de programmation informatique)

Dessiner avec la "tortue LOGO"
Dans un premier temps, LOGO peut permettre de faire sentir aux élèves l’obligation de l’explicite et des codifications en mathématiques. En effet, pour que la tortue (en fait un triangle sur l'écran) exécute ce que l’on attend d’elle, il faut lui donner les bonnes instructions (avance, tourne, ...). L’élève est donc obligé de se débarrasser de tout l’implicite qui est contenu dans son langage. Utiliser LOGO  pour s’entraîner, la tortue permettant des essais répétitifs et rapides, donc beaucoup de corrections.
Celle-ci ne joue pas encore le rôle de l’interlocuteur “de mauvaise foi” que le mathématicien essaye de convaincre lorsqu’il raisonne, mais, par son manque d’intelligence, cette tortue force l’élève à anticiper, à comprendre un cheminement, et à revenir sur ce qu’il avait oublié ou mal prévu. Elle diffère donc de l'interlocuteur qui tente de compenser le manque d'informations par sa culture commune avec l'émetteur, son intelligence et sa faculté d'anticipation.
[pendant la rédaction de ce mémoire, le nano-reseau de la classe est sur le point d'être vu par une personne compétente pour permettre de prochaines séances autour de LOGO]

Les procédures et les définitions avec LOGO :
Une suite d’instructions qui se répète souvent, un concept que l’élève maîtrise bien, lui donneront envie de ”résumer” la série de commandes qu’il tape à chaque fois (par exemple, la procédure pour tracer un carré, puis un carré dont les côtés ont une longueur donnée, ...).
Chaque groupe aura certainement sa façon de programmer, avec plus ou moins d’adaptations possibles... ceci peut être l’occasion de faire ressentir aux élèves plusieurs choses :
-le besoin de définir avec précision ce qu’est un carré.
-les liens entre la définition du carré (particulière car elle doit être utilisable par cette “géométrie différentielle finie” (cf. les limites du LOGO)), ses propriétés et la procédure mise en place pour le construire.
-une reconstruction du langage : après avoir remis en cause l’utilisation du terme “carré”, nous allons fixer des règles à l’intérieur desquelles nous pourrons parler de “carré”, même avec la tortue. Mais ce retour de l’implicite se fait de façon mathématique, après une définition stricte, sans équivoque.
 
 


suite : conclusion

fin : retour au sommaire