L'instant présent est le seul important.

C'est cette pensée que je vais essayer d'exposer. Tout d'abord, voici un exemple. Regardez la photo ci-dessus. Ces fesses sont belles, n'est-ce pas? Mais pourquoi vous arréterez-vous dessus, pour en observer l'esthétique ou pour, inconsciemment, se dire que vous allez les effleurer, les toucher, les palper, les embrasser... ?

"les photos de cul, c'est comme la pub quand y'a pas de magasin", m'a dit un jour un copain. On regarde, on peut même phantasmer, mais on n'atteint en rien l'objet désiré. La photo de ces fesses est attirante parce qu'elle laisse supposer un futur, alors que rien ne laisse présager que vous allez atteindre à ce que vous supposez.

J'ai pris l'exemple ci-dessus car il est frappant. Toute la publicité est basée là dessus. On laisse entrevoir au spectateur la possibilité d'obtenir quelquechose qui lui manque. On entraîne l'individu à se projeter dans le futur, et à n'être dans son présent que pour tendre vers les désirs qui ont été corrompus. Car il s'agit bien de corruption. Pour en revenir à l'exemple précédent, le désir sexuel et amoureux est bridé chez la plupart d'entre nous. Non seulement les contraintes morales, mais aussi le travail nous empêchent de jouïr librement et de manière pleine du temps où l'on vit. Nos comportements sont étriqués. L'individu, après avoir eu trop longtemps envie, découvre la notion de besoin, qui se coupe de toute considération pour l'autre, le considère uniquement comme un objet pour calmer (momentanément) son besoin. L'autre devient porteur d'un futur potentiel, celui où il se laissera consommer, et il n'est plus rien d'autre.

Le futur est mort et imprévisible. Il est non seulement ce que l'on en fait, mais aussi ce que le hasard décide, et ce que les autres permettent. La personne qui se projette dans le futur est toujours à la course, ne prète attention à rien car elle est trop pressée et a un fardeau trop lourd sur les épaules : elle porte avec elle tout l'univers des possibles !

Seul le présent est réel. Le présent est ce que l'on touche et ce que l'on voit, c'est l'action que l'on est en train de faire ici et maintenant. Dans l'exemple précédent, seul le présent est intéressant: rencontrer réellement la personne, et, si des liens se nouent, non pas uniquement entre deux sexes mais entre deux êtres humains, alors seulement la conclusion que laisse supposer cette photo est intéressante. Une personne ouverte et attentive à ce qui se passe ici et maintenant retire réellement quelquechose de ses actes et de ses pensées, jouït des biens et des relations. Une personne qui court toujours vers l'avenir ne prète qu'une attention distraite à ce qu'elle vit, et continue sa course folle jusqu'au terminus : la mort.

Voyez comme il est facile de se laisser projeter dans le futur sans s'en rendre compte. Un père de famille, travaillant 35 heures par semaine, dépose ses enfants à l'école à huit heures, part travailler jusqu'à midi, et rentre chez lui autour de midi et demi après être repassé à l'école. Rapide repas, il repart à une heure et quart, laisse ses enfants pour l'après-midi, travaille jusqu'à cinq heures, récupère ses enfants, s'occupe un peu de sa maison et de sa paperasserie, puis passe à table et se couche. Ceci est un emploi du temps bien chargé, n'est-ce pas? Il faut déjà une certaine volonté pour ne pas se projeter sur le prochain week-end ou sur les prochaines vacances, pour peu que le travail qu'il fait ne soit pas plaisant. Mais imaginons maintenant qu'il s'est mal réveillé le matin. Il peine à se lever, habille ses enfants en hâte et dans la voiture n'a plus qu'une seule idée: arriver à l'heure. Une fois au boulot, comme il n'est décidément pas en forme, il attend avec impatience midi. S'il n'arrive pas à réagir pour le repas, les enfants vont mal manger, il va s'énerver et saura déjà que le soir sera peinible, avec ces sales mômes qui sautent partout (forcément, depuis le matin, il n'est pas réellement avec eux). Re-travail, encore plus peinible avec la journée qui s'avance et avec le spectre de la soirée qui s'annonce houleuse. De quoi aura-t-il envie après cette misérable journée ? Autre exemple : Une personne seule, en ville. Elle a quelques amis, mais pour voir du monde régulièrement, elle s'investit dans divers associations en soirée. Elle arrive à entretenir des rapports de qualité avec un suffisament grand nombre de personnes (ce qui est déjà exceptionnel). Mais voilà : parce que les règles morales sont strictes, elle n'arrive pas à avoir des relations sexuelles en quantité et qualité satisfaisantes, à cause de la gène ou des refus de ses partenaires potentiels. Au bout de quelques années d'une telle existence, si elle n'a pas éteint toute envie sexuelle en elle, quelle va être sa réaction face à ces images :

Voilà pourquoi, dans tout ce texte, j'ai insisté avec virulence sur le BESOIN, pour une vie riche et satisfaisante, d'être dans l'instant présent. Quasiment toutes les publicités, toutes les images nous vendent du futur. Un futur, souvent, qu'il faudra acheter (vacances au club med, nouvelle voiture, nouveau dentifrice ou collant de Kim Bassinger). Le futur, dans les autres cas, se traduira par une "statufication" du besoin représenté (mais je crois que Guy Debord et Raoul Vaneigem ont mieux expliqué ce dernier cas mieux que moi, je vous renvoie donc à leurs livres). C'est en faisant les courses avec la faim que l'on achète plus que nécessaire. C'est en parlant du futur que les politiciens se font élire. C'est en espérant une jouïssance future que les masochistes vont se faire torturer par leur maître favori. C'est en espérant le paradis que des gens passent à côté de la seule vie qu'ils sont sûrs d'avoir.