Les Fées

Maîtresse de la magie, elle symbolise les pouvoirs parnormaux de l'esprit ou les capacités prestigieuses de l'imagination. Elle opère les plus extraordinaires transformations et en un instant comble ou déçoit les désirs les plus ambitieux. Peut-étre représente-t-elle les pouvoirs de l'homme de construire en imagination les projets qu'il n'a pu réaliser.

La fée irlandaise est par essence la banshec, dont les fées des autres pays celtiques ne sont que des équivalents plus ou moins altérés ou compris. Au départ, la fée, qui se confond avec la femme, est une messagère de l'Autre Monde. Elle voyage souvent sous la forme d'un oiseau, d'un cygne, de préférence. Mais cette qualité n'a plus été comprise lors de la christianisation et les transcripteurs en ont fait une amoureuse venant chercher l'élu de son coeur. La banshec est par définition un être doué de magie. Elle n'est pas soumise aux contingences des trois dimensions. Le plus puissant des druides ne peut retenir celui qu'elle appelle et, quand elle s'éloigne provisoirement, l'élu tombe en langueur.

Shakespeare a merveilleusement montré, avec la Reine Mab, l'ambivalence de la fée, qui est capable de se transformer en sorcière.

Alors je vois que la Reine Mab vous a visité
C'est l'accoucheuse des fées et elle vient
Pas plus grosse qu'une pierre d'agate
À l'index d'un échevin
Trainée par un attelage de petits atomes...
... c'est toujours cette Mab
Qui tresse la critiière des chevaux la nuit Et dans leurs poils gluans
Fabrique des noeuds magiques
Qui débrouillés font arriver de grands malheurs.
C'est la sorcière...

En effet, les palais que les fées évoquent et font scintiller dans la nuit s'évanouissent en un instant et ne laissent plus que le souvenir d'une illusion. lis se situent dans l'évolution psychique parmi les processus de l'adaptation au réel et de l'acceptation de soi, avec ses limites personnelles. 0 recourt aux fées et à leurs ambiitions démesurées. Ou bien elles compensent les aspirations frustrées. Leur baguette et leur anneau sont les insignes de leur pouvoir. Elles resserrent ou défont les noeuds' du psychisme.

Que les fées de notre folklore ne soient autres, à l'origine, que les Parques romaines, elles-mêmes transposition latine des Moires grecques, ne parait guère discutable. Leur nom même, Fata, les Destinées, le prouve. Les trois Parques, précise P. Grimal, étaient représentées sur le forum par trois. statues que l'on appelait couramment les trois fées. Elles portent encore aujourd'hui ce nom dans la plupart des langues latines,

Assemblées généralement par trois, les fées tirent du fuseau le rail de la destinée humaine, l'enroulent sur le rouet et le coupent, l'heure venue, de leurs ciseaux. Peut-être furent-eiles, à l'origine, des déesses protectrices des champs. Le rythme ternaire, qui caractérise leurs activités, est celui de la vie même: jeunesse, maturité, vieillesse, ou bien naissance, vie et mort, dont l'astrologie fera: évolution, culmination, involution. Selon de vieilles traditions bretonnes, à la naissance d'un enfant, on dresse trois couverts, sur une table bien garnie, mais dans une pièce écartée de la maison, afin que les fées soient rendues propices. Ce sont elles, qussi, qui conduisent au ciel les âmes des enfants rnort-nés et qui aideront à rompre les maléfices de Satan.

Pour mieux comprendre le symbolisme des fées, il faut, par-delà Parques et Moires, remonter aux Kères, divinités infernales de la mythologie grecque, sortes de Walkyries qui s'emparent des agonisants sur le champ de bataille, mais qui, selon l'Iliade, paraissent aussi déterminer le sort, le destin du héros, auquel elles apparaissent en lui offrant un choix, dont dépendra l'issue bénéfique ou maléfique de son voyage.

La filiation des fées telle que nous venons de l'indiquer montre qu'elles sont originellement des expressions de la Terre-Mère. Mais le courant de l'histoire, selon un mécanisme ascensionnel que nous avons exposé en d'autres notes, les a fait peu à peu montrer du fond de la terre à sa surface, où, dans la clarté de la Lune, elles deviennent esprits des eaux et de la végétation. Les lieux de leurs épiphanies montrent cependant clairement leur origine; elles apparaissent en effet le plus souvent sur des montagnes près des crevasses et des torrents, sur les innombrables tables de fées ou dans le plus profond des forêts, au bord d'une grotte, d'un abîme, d'une c heminée des fées, ou encore près d'un fleuve mugissant ou au bord d'une source ou d'une fontaine. Elles sont associées au rythme ternaire, mais, en y regardant de plus près, elles relèvent aussi du quaternaire: en musique, on dirait que leur mesure est à trois-quatre: trois temps marqués et un temps de silence. Ce qui rerésente en effet et le rythme lunaire et celui des saisons. Là lune est visible pendant trois phases sur quatre; à sa quatrième phase, elle devient invisible, on dit qu'elle est morte. De même, la vie représentée par la végétation naît sur la terre au printemps, s'épanouit en été, décroit en automne, et disparaît pendant l'hiver, temps de silence, de mort. Si l'on examine de très près contes et légendes relatifs aux féeil apparaît que ce quatrième temps des fées n'a pas été oublié par les auteurs anonymes de ces récits. C'est le temps de rupture, où l'épiphanie anthropomorphe de la fée se dissipe. La fée participe du surnaturel, parce que sa vie est continue, et non discontinue comme la nôtre, et comme celle de toute chose vivante en ce monde. Il est donc normal quen la saison de la mort on ne puisse la voir, donc qu'elle n'apparaisse pas. Pourtant elle existe toujours, mais sous une autre forme, relevant comme elle, en son essence, de la vie continue, de la vie éternelle. Voilà la raison pour laquelle Mélusine', le samedi, quitte son humain époux et lui demande de ne pas chercher à la voir, de respecter son secret. Il lui faut en effet, en cette phase quatrième, quitter l'apparence humaine pour prendre celle d'un serpent, épiphanie animale, comme on le sait, de la vie éternelle. Mélusine est alternativement femme et serpent, de la même façon que le serpent change de peau pour se renouveler indéfiniment. C'est le moment qui, cher les humains, correspond au temps de silence, à la mort. Aussi les fées ne se montrent-elles jamais que de façon intermittente, comme par éclipses, bien qu'elles subsistent en elles-mêmes de façon permanente' On pourrait en dire autant des manifestations de l'inconscient.


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