Histoire et évolution de la terre et des êtres vivants


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  • Introduction: Les objets et les méthodes
    • Ce chapitre est un chapitre de paléontologie c'est-à-dire d'histoire des êtres vivants, ce n'est donc pas un chapitre de science expérimentale
    • Ce chapitre est un chapitre de paléoécologie
    • L'actualisme est un principe premier pour le paléontologue
    • Il n'y a pas de temps réel en dehors de la vie
  • 1. Les origines: un problème à part
    • a . l'apparition de la vie
      • Si un homme croît pouvoir créer un être vivant à partir de molécules et d'énergie, il se prend pour Dieu
      • Toute connaissance biologique est aujourd'hui étudiée dans une perspective évolutive
      • Les fossiles incontestables commencent vers 600 Ma
        • La forme des microfossiles reste le premier critère de détermination
        • La composition chimique des microfossiles n'est déterminée qu'avec des incertitudes expérimentales très grandes et de nombreuses incertitudes historiques absolues
    • b . Trois histoires de la vie
  • 2.Des fossiles aux modèles
    • a. Un fossile est un reste ou la trace d'un être vivant conservé dans une roche.
    • b. La paléontologie est une science logique
    • c. L'évolution comme modèle interne ou comme modèle externe permettant d'intégrer les faits paléontologiques déduits des fossiles
    • d. Un exemple : l'évolution des équoïdés
      • d1 - Données paléontologiques (fossiles, interprétations et reconstitutions)
      • d2- Une histoire des Equoïdés selon Pierre-Paul Grassé : ce qui me semble être un modèle externe
      • d 3- Une histoire des Equoïdés selon Christine Janis : ce qui me semble être un modèle interne
      • d 4 - Un essai de comparaison des histoires et des modèles
      • d 5 - Construire une phylogénie: un exemple incomplet mais détaillé pour les élèves

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Quelques références bibliographiques : L'Archéen, dossier, Géochronique, 64, 1997, 8-17 ; Origine de la vie: 100.000 milliards de scénarios, Pierre Lazlo, La Recherche, 296, mars 1997, 26-28 ; La petite fronde anti-Darwin des années récentes, Yves Bouligand, in "Pour Darwin", 1997, PUF, 751-783, L'origine de la vie sur la terre, A.I. Oparin, 1965, Masson, édition française à partir de la traduction anglaise avec commentaires de P. Gavaudan (un livre très intéressant qui se trouve à la bibliothèque du Muséum d'Angers) ; Ecologie générale : structure et fonctionnement de la biosphère, Robert Barbault, 1997, 4ème édition, Masson ; Précis d'écologie, Roger Dajoz, 1996, 6ème édition, Dunod ; Les micro-organismes de l'intérieur du globe, James Fredrickson et Tullis Onstott, Pour la Science, 230, décembre 1996, 90-95; L'évolution, des faits aux mécanismes, Louis Allano et Alex Clamens, Ellipses, 2000
Je ne résiste pas à la tentation de vous présenter quelques mots sur un livre découvert à la bibliothèque du Muséum d'Angers qui est une édition de 1874, de l'Histoire de la création des êtres organisés d'après les lois naturelles par Ernest Haeckel, professeur de zoologie à l'université de Iéna, C. Reinwald et Cie, libraires-éditeurs à Paris. Il s'agit de la traduction d'une série de 24 "Conférences scientifiques sur la doctrine de l'évolution en général et celle de Darwin, Goethe et Lamarck en particulier". C'est passionnant . Vous pouvez accéder à la bibliothèque du Muséum sur simple demande au conservateur. Je vous signale aussi la petite note de Michael Richardson : Une fraude en embryologie, Pour la Science, 247, mai 1998, pp10-12, qui soutient la thèse selon laquelle les dessins d'un livre d'Haeckel très voisins de ceux-ci, seraient falsifiés....

Une scan volontairement de mauvaise qualité (tous droits réservés) de la superbe planche gravée (gravure sur bois) de l'ouvrage d'Haeckel de 1874 issue de la bibliothèque du Muséum d'Histoire Naturelle d'Angers : en voici la légende:

Planches II et III (Entre les pages 270 et 271).
Germes ou embryons de quatre vertébrés divers,
savoir de tortue (A et E), de poule (B et F), de chien (C et G), d'homme (D et H). Les figures A-D représentent un stade embryologique moins avancé, les figures E-H un stade postérieur. Les huit embryons sont vus du côté droit, le dos voûté est tourné à gauche. Les figures A et B représentent un grossissement de sept diamètres; les figures C et D un grossissement de cinq diamètres ; les figures E-H un grossissement de quatre diamètres. La planche II est destinée à montrer la proche parenté des reptiles et des oiseaux ; la planche III, celle de l'homme et des autres mammifères.

Introduction: les objets et les méthodes

* Ce chapitre est un chapitre de paléontologie c'est-à-dire d'histoire des êtres vivants, ce n'est donc pas un chapitre de science expérimentale. «Paléontologie» vient du grec "paléo"=ancien, "ontos"=l'être et "logo"=parler. Le terme d'«histoire» est pris au sens de "science des événements passés" et non dans le sens restreint des "événements ayant eu lieu depuis l'avènement de l'écriture", les périodes plus anciennes étant désignées sous le vocable de préhistoire. Avec le terme de "paléontologie", on définit à la fois l'objet (les êtres vivants du passé) et la méthode (historique au sens large). Il me paraît nécessaire d'insister sur le fait que nous ne sommes plus dans une science expérimentale mais dans une science historique. Voir pour une ébauche de discussion à ce sujet les pages sur la méthode .

* Ce chapitre est un chapitre de paléoécologie: il n'étudie ni les êtres vivants seuls, ni la terre vue comme un milieu sans vie.
Ce n'est pas un chapitre de géologie, même si nous utilisons les résultats de la stratigraphie, de la géochimie...Ce n'est pas non plus un chapitre de biologie, même si nous utilisons les résultats de l'embryologie, de l'anatomie, de la cytogénétique... Il s'agit de "biogéologie"...En fait nous allons faire de l'écologie historique plutôt que de la géologie historique. C'est pour cela que j'ai cité en bibliographie des ouvrages d'écologie générale qui tous deux possèdent une partie historique qui cadre tout à fait avec notre programme. En fait ce chapitre traite réellement de l'histoire de la terre et de la vie et donc de l'évolution. L'évolution (au sens "évolutionniste".. nous préciserons ces mots mais j'entends par là une théorie de l'évolution du vivant) n'est pas, à mon sens, l'évolution des êtres vivants sur terre, mais bien l'évolution du système terre-êtres vivants qui, à mon avis encore, ne forme qu'un seul système. Séparer la terre des êtres vivants est un artifice, qui peut être utile mais qui devient un obstacle pour les naturalistes ("biogéologues") que nous sommes . Je reprends par exemple les mots de R. Barbault, dans son précis d'écologie générale : «...la biosphère recouvre partiellement les trois grands compartiments qui composent la terre, la lithosphère, l'hydrosphère et l'atmosphère. ... certains écologues préfèrent utiliser dans ce cas le terme d'écosphère... Que l'on parle d'écosphère ou de biosphère il est clair que les processus écologiques lient étroitement les organismes vivants à leur environnement physico-chimique. Dissocier les êtres vivants de leur milieu est, pour l'écologue, dénué de sens. En écologie, le terme de biosphère est toujours utilisé dans un sens fonctionnel (et non descriptif) ; sa signification est bien celle donnée au concept d'écosphère.» La terre (globe terrestre avec tous ses composants, vivants ou non, dont l'homme fait bien évidemment partie), telle que nous la connaissons, n'est pas peuplée, elle est vivante, c'est un lieu de vie (je joue un peu sur les mots mais je veux simplement insister sur cette profonde interaction terre-êtres vivants).

Remarque:
Je pense qu'il est intéressant de parler ici rapidement d'une théorie dont certains refusent de parler mais qui n'est peut-être pas inintéressante : considérer la terre comme un être vivant.

La terre vivante : l'hypothèse de Gaïa, ou la géophysiologie

(voir par exemple l'interview de Peter Westbroek : «la terre est-elle un superorganisme ?», La Recherche, 295, février 1997, 100-101 ; ou encore l'"encyclopédie Hachette multimédia : Science interactive" à l'article "Vie"...)

L'hypothèse

La terre est un organisme vivant.

Auteurs

L'idée semble avoir été reprise récemment par James Lovelock sous le terme de Gaïa (Les âges de Gaïa, Lovelock J., 1990, Robert Laffont) mais, comme ce nom est très ancien (philosophies pour lesquelles je n'ai fait aucune recherche) et a été utilisé par des non scientifiques avec des visées très différentes ("philosophie" new age ?), le groupe de scientifiques qui a repris l'idée préfère que l'on parle de l'hypothèse Lovelock ou de géophysiologie. Une société de géophysiologie s'est constituée autour de Peter Westbroek en avril 1997 à Oxford...

Critique personnelle

Pris comme une hypothèse scientifique, ce concept a des implications que certains considèrent comme très intéressantes sur notre compréhension des phénomènes biochimiques et biophysiques mais pour l'instant il n'y a pas de développement très poussé. Il est évident que de nombreux scientifiques considèrent que c'est une hypothèse franchement irréelle et que l'on perd du temps à l'étudier.
Comparer la terre à un être vivant unique demande d'y retrouver les trois types de travail : nutrition, relation, reproduction. Si la nutrition peut éventuellement s'imaginer en terme de matière et d'énergie avec le reste de l'univers, les relations et la reproduction deviennent franchement difficiles à justifier avec un individu unique, à moins que l'on imagine d'autres terres vivantes... Imaginer que la terre est un écosystème unique, le seul écosystème (comme je le fais du moins en partie quand je parle de biogéologie) est tout à fait différent du fait de supposer que cet écosystème forme une unité vivante, un être vivant.
Du point de vue philosophique, il me semble qu'un des plus grands dangers est de nier la personnalité de chaque être vivant. Il me semble inacceptable de faire dépendre la "capacité d'existence" de chaque être vivant de celle d'un tout qui serait la terre vivante. Je ne vois pas comment ne pas déboucher soit sur un panthéisme avec un dieu-terre unique, soit sur un polythéisme avec de nombreux dieux-terres.
Cette hypothèse n'a donc rien à voir avec ce que j'appelle la biogéologie qui n'est qu'une manière de considérer comme indissociables la vie et le milieu de vie.

Cet exemple vous permettra d'apprécier combien les modèles sont variés et si certains s'imposent actuellement dans la communauté scientifique ils ne sont pas plus prouvés ou définitifs que d'autres. Ce n'est pas le consensus qui fait la vérité. En histoire, la vérité peut même être définitivement (?) cachée, inaccessible. Je n'ai pas de vérité à proposer par contre je pense pouvoir aider un élève à réfléchir...
Il y a tout de même un aspect sur l'évolution qui est essentiel mais qui ne tranche pas forcément avec les questions que se pose tout historien. A quoi sert d'étudier l'histoire ? A quoi sert d'étudier l'histoire de la vie ? Pour le biogéologue la réponse est claire ce me semble : elle va lui permettre d'élaborer un modèle incluant le temps qui sera prédictif. En fait l'histoire est un moyen d'atteindre l'avenir. Le modèle prédictif élaboré devient testable, vérifiable et donc scientifique. Il y a une sorte de contradiction : on élabore un modèle historique qui est testé scientifiquement. (J'ai déjà abordé cette question de modèle d'une part dans les pages sur
la méthode et d'autre part dans une petite page complémentaire sur les modèles scientifiques expérimentaux, mais le débat est loin d'être clos).

* L'actualisme est un principe premier pour le paléontologue .

Une formulation de l' actualisme ou du ...principe des causes actuelles
Les lois expérimentales
(actuelles, vérifiables, donc toujours soumises à l'expérience...)
étaient aussi valables par le passé.

Que considère t-on ? la durée des phénomènes, la fréquence, la vitesse ? ou la validité des lois, ou la réalité du passé qui n'est plus mais qui a été ? Selon les formulations il y a de profondes différences. Je n'ai pas fait de recherches historiques approfondies mais il est tout à fait possible que la formulation de ce principe ait beaucoup évolué et que la définition que j'en donne ne soit pas acceptée par tous (si je ne me trompe c'est d'abord le catastrophisme de Cuvier qui a dominé (révolutions subites) et a été remplacé par l'uniformitarisme de Lyell et de Lamarck (théorie du développement continu) pour finalement déboucher sur cette présentation moderne d'un principe philosophique plus ancien qui dépasse de loin la querelle catastrophisme-uniformitarisme ; voir par exemple : Histoire de la création des êtres organisés d'après les lois naturelles, Ernest Haeckel, troisième leçon (p 52-53) et quatrième leçon, C. Reinwald et Cie, libraires-éditeurs à Paris, 1874 ). La formulation ci-dessus me convient et me paraît incontournable.
Le principe des causes actuelles nous permet de dire que les causes de l'évolution sont actuellement décelables car actuellement en jeu. Je précise : les causes et non pas forcément les mécanismes, dans le sens où il peut très bien y avoir eu des étapes dans l'évolution qui sont passés et ne se reproduiront plus. Ce sur quoi il est nécessaire de s'accorder c'est sur la causalité et donc sur la validité des lois expérimentales par le passé. Les lois expérimentales découvertes actuellement s'appliquaient par le passé.
En énonçant ce principe le scientifique sait qu'il fait reposer sa connaissance sur un principe raisonnable mais qui n'est pas scientifique dans le sens où il n'est pas démontrable expérimentalement. Toute discussion de la validité de ce principe reste dans le cadre d'une discussion scientifique mais se fait non pas avec les outils du scientifique mais avec ceux du philosophe.
L'uniformitarisme est une version très différente qui stipule que les mécanismes actuels sont les mêmes que par le passé. Il ne s'agit plus des causes mais des phénomènes eux-mêmes, de leur vitesse...on y oppose le catastrophisme qui lui préfère des mécanismes différents. Aucun de ces deux principes n'est utile pour le biogéologue (je veux dire qu'aucun n'est indispensable, et qu'on peut donc les rejeter comme principes), il s'agit de points de vue dont la querelle est à mon avis dépassée actuellement (notamment présenter les discussions sur la crise K-T à l'aide de ces deux concepts relève à mon avis d'une erreur... : que l'on préfère une vision où l'autre ne change rien au fait que les deux partis appliquent le principe des causes actuelles qui lui est incontournable).

* Il n'y a pas de temps réel en dehors de la vie.
Du temps en biologie au temps en géologie : une petite vision bergsonienne du temps dans une page sur le temps sur le site associé.
Le temps du géologue a longtemps été marqué par le non vivant (pour ne pas dire l'inanimé). Il serait donc judicieux non pas de séparer les méthodes de datation (détermination de l'âge d'un objet géologique) , comme je l'ai fait pour la spécialité et comme on le fait habituellement, en datation expérimentale et en datation logique, mais au contraire de distinguer d'une part "la méthode qui tient compte de la vie": la méthode paléontologique, et d'autre part une méthode physique, qui ne tient pas compte de la vie (essentiellement la datation expérimentale isotopique).
Je vous renvoie au chapitre de géologie de spécialité où sont développés quelques éléments sur la mesure du temps en géologie. En quelques mots, on peut retenir que la datation expérimentale permet d'atteindre un âge qualifié à tort d'âge absolu alors qu'il doit être donné avec une incertitude (c'est donc plus exactement un âge expérimental, donné avec une incertitude expérimentale absolue). Alors que la datation logique repose sur un certain nombre de principes exposés dans le cours de spécialité et permet d'atteindre un âge paléontologique ou encore historique et logique. Si l'on souhaite continuer dans le sens d'une écologie historique il faut donc essayer d'intégrer les temps multiples aux modèles pour obtenir une description de l'évolution qui serait le mouvement du système terre-vie (écosphère ou biosphère au sens large).

Remarque à propos de l'enregistrement sédimentaire (ce que l'on nomme les "archives" paléontologiques) :
Il me semble que la vision "sédimentaire" de l'enregistrement paléontologique c'est-à-dire que chaque couche fossilifère (ou roche) se superpose dans le temps aux précédentes (principes de superposition et d'identité paléontologique, voir cours de
spécialité), n'est pas tout à fait exacte (si j'en crois mes sources ce principe de superposition nous vient de Cuvier et était lié aux révolutions subites prônées par son auteur (Histoire de la création des êtres organisés d'après les lois naturelles, Ernest Haeckel, troisième leçon, p 53, C. Reinwald et Cie, libraires-éditeurs à Paris, 1874 ) puis il a été modifié par Lamarck et Lyell notamment montrant que l'on peut trouver dans deux couches sédimentaires superposées les mêmes fossiles : ils voulaient insister sur l'aspect continu et progressif du développement du vivant dans le temps ; mais mon propos est autre : c'est l'âge du fossile, c'est la notion même de fossile appartenant à une couche sédimentaire que je souhaite remettre en cause). Dans cette vision de couches sédimentaires fossilifères d'âge donné, il suffit de retrouver une couche ou une roche ancienne pour avoir accès aux êtres vivants qui vivaient à l'époque dans le sédiment ayant donné naissance à cette roche. On se rend bien compte qu'il peut y avoir des modifications à la suite de l'enfouissement, des phénomènes tectoniques, des remaniements géochimiques, une action du métamorphisme, mais globalement on ne remet pas en cause cette superposition horizontale de couches (roches) de plus en plus récentes vers le haut. On a une vision fixiste de la sédimentation qui éventuellement est modifiée ultérieurement.
Pourrait-on avoir une vision dynamique ?
Si les interactions entre la terre milieu de vie et les écosystèmes qui la peuplent ont été aussi importantes par le passé que actuellement, dans ce cas la vie modifie toutes les couches, y compris les roches en formation. Il n'y a pas de milieu sédimentaire azoïque (le sédiment est un milieu de vie): on retrouve des bactéries jusque dans des roches profondes jusqu'à 2,8 km (voir par exemple l'article : les micro-organismes de l'intérieur du globe, James Fredrickson et Tullis Onstott, Pour la Science, 230, décembre 1996, 90-95 , qui citait déjà 9.000 souches bactériennes lithotrophes profondes...). Les limites physico-chimiques des conditions de vie semblent sans cesse s'élargir et il me semble que l'on a quasiment aucun milieu sur terre (dans cette mince - à l'échelle de la planète - pellicule que l'on appelle biosphère) où l'on a pu mettre en évidence des êtres vivants. Dans ce cas, les remaniements ne sont pas l'exception mais la règle, dans ce cas les éléments chimiques d'une roche n'ont pas un âge unique mais il y a une grande hétérogénéité au sein de chaque roche. Le fossile est donc l'exception et n'est vraiment jamais intact. Dans ce cas comment arriver à chiffrer dans une roche sédimentaire la part des chacune des périodes qui s'interpénètrent ? Comment même dater un fossile ? On pourrait donc substituer à la vision sédimentaire une vision plus "écologiste" dont voici une illustration :


Deux visions de l'enregistrement sédimentaire au cours des temps géologiques :
(les points colorés pleins indiquent des populations d'êtres vivants,
les points colorés vides des populations mortes)
vision sédimentaire

dans la vision sédimentaire "fixiste", le temps qui sépare deux couches correspondant à des milieux de vie différents est considéré comme si important que l'on peut voir deux milieux superposés (un actuel, un passé) indépendants ou du moins qui peuvent être reconstitués de façon indépendante;

vision écologiste

dans la vision écologiste "dynamique" il n'y a jamais séparation réelle, les roches sédimentaires profondes ne sont pas à l'abri des modifications liées au vivant : la zone azoïque commence à plus de 3 kilomètres de profondeur en milieu continental et certainement bien plus (10 km ?) en milieu océanique.

N.B.
le but de cette remarque n'est pas de remettre en cause le principe de superposition mais d'essayer d'aller à l'encontre d'un concept parfois figé: nos pieds ne reposent pas sur des couches sédimentaires anciennes empilées qui sont les témoins figés du passé. Actuellement, ces roches sont soumises à l'action de remaniements par des solutions mais aussi par des êtres vivants que l'on commence tout juste à découvrir... donc elles ne sont pas actuellement exemptes de vie, ce ne sont pas des roches du passé, même si de nombreux éléments qui les composent ont un grand âge. Et s'il n'y a pas actuellement de véritable roche azoïque à l'affleurement, pourquoi imaginer qu'il y en a eu par le passé ? Si l'on reporte dans le temps le raisonnement, il n'y a aucun moment où l'on a une roche dans la zone de vie qui ne soit pas remaniée par le vivant. Le fait de repousser le problème vers le bas ne change rien. Ce qu'il faut c'est délimiter la zone de vie à un instant donné. Si elle est s'étend comme on le dit actuellement à toute la zone où l'on pense que se forment les roches sédimentaires (zone de diagénèse) dans ce cas, il n'y a jamais d'âge précis pour une roche sédimentaire, il y a un continuum. Dans le modèle sédimentaire, on suppose -en quelque sorte- qu'après son dépôt, le sédiment en cours de diagénèse peut être considéré comme à l'abri des phénomènes vivants, soit parce que le milieu superficiel a changé (émersion...) soit parce que les conditions atteintes à la suite de l'enfouissement deviennent impropres à la vie. Dans le modèle écologiste, la diagénèse est un phénomène qui fait intervenir le vivant et une roche sédimentaire a un âge extrêmement étendu dans le temps. Les archives sont brouillées et les mots d'une même phrase sont sur des pages différentes du livre sédimentaire...

1. Les origines, un problème à part


Le Précambrien, temps d'avant le Cambrien (première période de l'ère primaire qui commence à -570 Ma), est divisé en Protérozoïque et en Archéen; ce dernier correspondant à des terrains nettement plus métamorphisés que ceux du Protérozoïque. En dessous de ces divisions sont portés les stromatolithes, fossiles discutés rapportés à des concrétions réalisées pardes Cyanophytes (actuellement Cyanobactéries) et la présence de formes rapportées à des microfossiles...

a . l'apparition de la vie :

Si un homme croît pouvoir créer un être vivant à partir de molécules et d'énergie, il se prend pour Dieu
1.Une conviction qui, à mon sens, devrait être celle de tous les scientifiques expérimentaux : l'étude des conditions de l'apparition de la vie n'est pas du domaine de la recherche expérimentale.
Un exposé particulièrement clair est celui de Pierre LASZLO dans La Recherche (n°296, mars 1997, 26-28: Origine de la vie: 100.000 milliards de scénarios): il y affirme que la chimie prébiotique, ou évolution moléculaire pour les darwiniens, est une science historique. Tout scénario sur l'apparition de la vie reste une histoire et non l'Histoire (voir dans ce même article la citation de l'historien Paul Veyne). La certitude, l'adhésion de l'esprit ne vient pas de la méthode expérimentale mais d'une autre méthode (celle de l'histoire), même si elle est aussi raisonnable.
Remarque:
Il est toujours aussi surprenant, pour un enseignant, de voir comment on (?) a pu imprimer dans l'esprit des élèves l'idée selon laquelle le temps, allongé à l'infini (ou presque), permet de diluer la causalité. Peut-être y a-t-il un rapprochement à faire avec le paradoxe de la flèche de Xénon qui n'atteint jamais son but étant donné que l'espace est infiniement divisible. Cette division de l'espace, comme celle du temps abstrait, est en puissance et non en acte, comme nous l'expliquent les métaphysiciens. La causalité doit atteindre son objet tout comme chaque action a une cause directe; repousser dans le temps la cause ne tient que pour le temps abstrait et non pour le temps concret qui fait que chaque être vivant, à chaque instant de vie, doit être soutenu dans son être, puisqu'il n'est pas sa propre cause.

Toute connaissance biologique est aujourd'hui étudiée dans une perspective évolutive
2. Un point de vue intéressant (qui peut paraître en contradiction avec le premier point mais qui en fait le rejoint partiellement car, si l'apparition de la vie échappe à l'expérience, notre compréhension du vivant passe par cette expérience et l'évolution fait partie de cette théorie globale du vivant qui nous passionne tous): «ce ne sont pas les biologistes moléculaires qui font actuellement avancer les recherches sur l'origine de la vie, ce sont des physiciens et des chimistes (et aussi des biologistes... mais qui utilisent les outils mathématiques) qui s'intéressent aux formes... ». Je voudrais citer Yves Bouligand : «Qui peut aujourd'hui présenter un séminaire sur les facteurs contrôlant la forme et la nature du Golgi, avec une analyse des aspects évolutifs de la question ? Le mieux que l'on puisse faire est de confronter l'ensemble des données disponibles et de faire le tour des problèmes, mais il faudrait tout ignorer des facteurs physico-chimiques qui contrôlent la forme des bicouches membranaires pour penser que tout cela n'est qu'une question de gènes que l'on va découvrir en temps utile.»
J'en profite pour recopier un passage qui suit : «Nombre de biologistes en France sont restés durant de longues années les fervents défenseurs de l'hérédité de l'acquis, et sont remplacés aujourd'hui par de piètres avocats du darwinisme, biologistes moléculaires en général, en des domaines qui ne constituent certainement pas la meilleure sélection de cette discipline, dont certains spécialistes affichent un dogmatisme contraire à l'esprit du darwinisme. La raison de cette état de choses tient selon nous à un manque grave d'interdisciplinarité dans les programmes de formation scientifique.» Yves Bouligand, La petite fronde anti-Darwin des années récentes, in "Pour Darwin", 1997, PUF, 751-783

Les fossiles incontestables commencent vers 600 Ma.
3. On peut essayer de préciser POUR CES TEMPS TRÈS ANCIENS, le sens de la recherche de fossiles (restes ou traces d'êtres vivants) ou de roches les plus anciennes possibles :
* La forme des microfossiles reste le premier critère de détermination
Or, si l'on trouve des formes, il y a toujours l'incertitude historique, même si le chercheur peut avoir une intime conviction : les filaments, microcapsules, microsphères, bâtonnets en sont des exemples... (voir par exemple les photos de lame mince de la "Gunflint Iron Formation" datée de 2Ga dans La Recherche, 295, février 1997, p31 ainsi que la brève journalistique "Controverse : les premières traces de vie", Fabienne Lemarchand, La Recherche, 354, juin 2002, p 14-15, qui rapporte la réinterprétation (par l'équipe de Martin Brasier de l'université d'Oxford) des traces autrefois qualifiées de bactériennes datées de 3,465 Ga (Chinaman Creek, en Australie) comme des productions minérales associées à une activité hydrothermale: les techniques d'analyse utilisées ici ont été particulièrement complètes notamment par l'utilisation de la spectrométrie Raman laser... mais les résultats restent bien sûr controversés... nous ne sommes pas dans une science expérimentale).
Par contre dès que l'on arrive à des squelettes élaborés l'esprit se rallie avec aisance, l'incertitude historique demeure mais la raison est bien convaincue que l'on a des restes d'êtres vivants : des fossiles incontestables. (Mais l'on a toujours pas de preuve expérimentale ... que l'on aura jamais)
Remarques:

Un exemple d'utilisation de cette prudence dans le domaine historique est celui de l'étude de ce qu'on appelle les stromatolithes...ce terme, et ce qu'il recouvre, est loin de faire l'unanimité de la communauté scientifique... : voici quelques éléments de discussion :

les Cyanophytes... des Cyanophycées (Algues bleues) aux Cyanobactéries
(une référence : Les cyanobactéries, d'étonnants procaryotes autotrophes, Marc-André Selosse, Biologie-Géologie (Bulletin de l'APBG), n°3-1996, 481-529)

Ne prétendant pas du tout être un spécialiste de cette question, je me contenterai de résumer ce que j'ai compris de la référence citée, puis je soulèverai quelques questions...

Ce sont des organismes VIVANTS
- procaryotes (pas de noyau entouré par une double membrane mais un nucléoïde contenant un ADN bicaténaire circulaire et sans histones mais avec des protéines voisines de celles connues chez Escherichia coli mais certaines caractéristiques génétiques les rapprochent des eucaryotes comme la présence d'introns dans les ARN messagers bien que cette particularité ait été découverte chez d'autres procaryotes...)
- Gram négatifs vis-à-vis de la structure de leur enveloppe cellulaire (deux membranes séparées par une couche de peptidoglycanes, la membrane externe étant percée de pores) et entourés d'une capsule mucilagineuse
- compartimentés (ils présentent des vésicules aplaties délimitées par une membrane phospholipidique et protéique qui sont assimilés aux thylakoïdes des chlroroplastes)
- à cytoplasme comportant de nombreuses inclusions dont certaines très originales (vacuoles à gaz, carboxysomes....)
- souvent unicellulaires mais parfois aussi coloniaux (cellules agglomérées par l'enveloppe mucilagineuse) en forme de filaments (trichomes) dont certains sont ramifiés : il est à noter qu'il existe des canaux très fins (plasmodesmes) qui font communiquer les cellules d'une même colonie...peut-on parler d'état pluricellulaire ? La question se pose d'autant plus que certains trichomes présentent des cellules différenciées (les hétérocystes sont des cellules spécialisées dans la fixation du diazote atmosphérique, mais il existe de nombreux autres types cellulaires : baeocytes mobiles, akinètes de résistance, nécridies en dégénérescence, hormogonies riches en vacuoles à gaz...)
- souvent mobiles mais sans que le mécanisme en soit connu avec précision
- contiennent tous de la chlorophylle a (mais pas de chlorophylle b à l'inverse des plantes mais comme les algues rouges (classées dans les protistes)) associée à différents pigments protéiques (donnant leur couleur aux cellules : bleue, rouge ou verte) au sein de structures membranaires appelées phycobilisomes (les mécanisme biochimiques de leur photosynthèse ressemblent à ceux des chloroplastes mais il existe des cas particuliers originaux de photosynthèse qui produit du soufre à la place du dioxygène)
- autotrophes vis-à-vis du carbone et de l'azote et aussi du soufre (la plupart du temps phototrophes mais elles semblent pouvoir utiliser du glucose de réserve stocké dans des granules cytoplasmiques (alpha-granules), les mécanismes varient selon les espèces testées et l'on connaît des exemples de chimio-organotrophie et de photo-organotrophie...)
- ubiquistes (ils occupent notamment des milieux extrêmes comme les névés ou les sources thermales mais aussi les poils du paresseux), voire opportunistes car ils sont capables de coloniser des milieux très riches en matière organique (eutrophisés pour ne pas dire pollués...) et avec une certaine tendance au mutualisme (avec des protistes comme des Codium (algue verte de la zone de balancement des marées), des plantes (Azolla, une fougère aquatique ; le Cycas ou même des Angiospermes comme les Gunnera), des Lichens...
- aquatiques (dans certaines conditions climatiques, la remontée subite de formes rouges à la surface de l'eau colore vivement les eaux de la... Mer Rouge) , mais ils présentent des formes de résistance (on a fait germer des Nostoc de 87 ans conservés en herbier...) résistant à la dessiccation
- formant des tapis plus ou moins laminés sur des vases exondables mais font aussi partie du picoplancton et participent fortement à la production primaire des masses d'eau océaniques...

Les questions:
* les Cyanophytes actuelles doivent-elles être classées avec les bactéries (ce sont des procaryotes) ou avec les algues vertes (que l'on classe maintenant dans les protistes, certains étant pluricellulaires, ce qui convient tout à fait aux Cyanophytes) ? Le terme anglosaxon de Cyanophyte reprend l'ancienne division -zoo (animal) et -phyte (végétal) qui me semblait plus ou moins abandonnée... Le terme Cyanophycée, faisant référence à une algue n'indiquait-il pas plutôt l'écologie (milieu aquatique) plutôt que la présence de pigments chlorophylliens ? Le terme de Cyanobactérie ne restreint-il pas les critères à l'état procaryotique, la présence de ribosomes à une sous-unité de coefficient de sédimentation 70s,..., bref des caractères que certains ne manqueront pas de qualifier de peu marquants par rapport au métabolisme photosynthétique ?
* la classification comme cyanophytes de formes fossiles très anciennes (Précambrien: 3,4 Ga , Australie) ou moins anciennes (les stromatolithes en général) repose-t-elle sur d'autres critères que les critères morphologiques ? Qui est réellement convaincu par les photos publiées ? Et que penser de toutes les roches sédimentaires laminées, parfois même récifales que l'on attribue de plus en plus à des cyanophytes ? Connaît-on une seule espèce de cyanophyte actuelle qui produise des encroûtements de ce type et de cette dimension (les photos de la baie des Requins en Australie occidentale ou de dépôts d'atolls polynésiens sont des structures très modestes et les couches semblent vraiment de dimensions très différentes des couches laminées fossiles) ? Les minéralisations que l'on nous présente à partir de tapis bactériens laminés dépassent-elles, même pour une seule espèce, le centimètre, voir la dizaine de centimètres ? Les milieux sont-ils les mêmes ?.... sincèrement, je ne suis pas du tout encore convaincu et je ne suis pas le seul. Que l'on se souvienne des nodules polymétalliques... si les stromatolithes sont des productions du vivant, ce qui est assez probable, rien ne prouve que l'on ait un seul type de dépôts... on a, au contraire, très certainement, des stromatolithes et peut-être autant de modes de formation... il faut avancer prudemment.

* La composition chimique des microfossiles n'est déterminée qu'avec des incertitudes expérimentales très grandes et de nombreuses incertitudes historiques absolues;
En effet, si l'on s'intéresse à la composition chimique, malgré les apparences, on est encore plus dans le domaine de l'incertitude historique, même si la conviction d'un chimiste, habitué à manier les isotopes (du grec iso = identique et topos = lieu ; les isotopes sont des éléments chimiques qui ont le même numéro atomique (et donc le même nom et la même position dans le tableau de Mendeleiev) mais qui sont de masse atomique différente), peut être forte et contagieuse.
En ce qui concerne la minéralogie (géochimie non isotopique) on peut par exemple utiliser des diagrammes Eh/pH qui indiquent des conditions de précipitations dans les conditions expérimentales actuelles : on en déduit un environnement géochimique possible, aux incertitudes près et toujours dans l'hypothèse actualiste (on remarque que lorsque l'on se tourne vers des temps très anciens, l'hypothèse actualiste est souvent confondue avec des conditions physico-chimiques actuelles ce qui est tout à fait différent du principe actualiste (voir plus haut catastrophisme-uniformitarisme qui font référence à des mécanismes): dire que les lois expérimentales sont extrapolables au passé ne présume pas des conditions physico-chimiques qui étaient peut-être très différentes de l'actuel et qui n'ont peut-être pas fini de nous surprendre...).
En ce qui concerne la géochimie isotopique, on peut utiliser des isotopes stables ou des isotopes radioactifs.
Les premiers permettent à l'aide du raisonnement physique simple du partitionnement lors des processus du vivant de montrer une signature isotopique du vivant. En effet de nombreux processus du vivant (précipitation de minéraux formant des squelettes, des coquilles, photosynthèse...) partitionnent (on dit aussi discriminent, c'est-à-dire séparent) les isotopes.
Enfin les isotopes radioactifs permettent des datations expérimentales (qui doivent être présentées avec des incertitudes (et avec toujours une incertitude absolue : la réouverture du système) : je vous renvoie au cours de spécialité).
Voici un exemple d'utilisation des isotopes stables de l'azote (j'ai du essayer de faire une analyse à partir de l'article de Valérie Beaumont dans le dossier de Géochronique, je manque bien sûr de sources de première main mais je pense que l'on peut essayer de poser de bonnes questions...):
Utilisation des isotopes stables de l'azote comme marqueur de la vie précambrienne...
Méthode

Le diazote atmosphérique actuel est considéré comme le standard valeur 0 du delta 15NAIR en ‰

Le delta isotopique est la différence, pour un élément donné entre le rapport isotopique d'un échantillon (Re) et celui d'un standard ( Rs), divisé par le rapport isotopique du standard et exprimé en pour mille : delta = (Re-Rs)/Rs x 1000 où R, le rapport isotopique est toujours présenté avec l'isotope de masse la plus élevée au numérateur ; soir R pour l'azote = 15N/14N.

Dans les processus naturels ACTUELS les partitions isotopiques de l'azote connues sont les suivantes :
- la dénitrification est très discriminante (NO3-(nitrates) -> (NO3- NO2O) -> N2 (diazote gazeux)): l'15N s'accumule dans les nitrates dissous (un organisme dénitrifiant présente un delta 15N d'environ + 6‰)
- la fixation biologique de l'azote (FBA) n'est pas discriminante (N2 -> Norg), un organisme présentant une FBA a un delta 15N à peu près égal à 0‰.

Dans les organismes vivants actuels le delta 15N est voisin de 6‰. Comme la plupart du organismes autotrophes vis-à-vis de l'azote consomment des nitrates dissous dans l'eau (NO3-), on explique cette valeur par l'hypothèse selon laquelle l'azote lourd s'accumule dans les nitrates du fait de la dénitrification par les bactéries du sol. On retrouve donc cette valeur dans la matière organique des organismes hétérotrophes vis-à-vis de l'azote et qui consomment l'azote des protéines. Certains organismes autotrophes sont capables de FBA notamment à l'aide de bactéries symbiotiques pour des plantes de la famille des légumineuses (Fabacées) ou des Cyanophycées (vois encadré ci-dessous). Si ce diazote atmosphérique constitue leur source principale d'azote, il devraient donc présenter un abaissement de leur delta 15N. Mais Valérie Beaumont ne cite aucune mesure sur ces organismes actuels... existent-elles ?

On peut donc s'attendre à ce que, lorsque l'on mesure le rapport entre les compositions isotopiques en azote 14 et 15 de la matière organique d'un échantillon, :
* avec une incertitude sur la mesure de l'ordre du ‰
* avec les postulats du principe des causes actuelles (les mécanismes biologiques et chimiques étaient les mêmes il y a 4 Ga années qu'aujourd'hui)
* avec l'incertitude concernant l'âge des roches que l'on étudie
* avec l'incertitude comme pour toute roche, que l'azote que l'on mesure présente bien le même âge que la roche étudiée et qu'il ne provient pas d'une contamination plus récente
* avec l'incertitude (liée à la méthode isotopique) que tout l'azote mesuré dans l'échantillon possède bien le même âge et qu'il n'y a donc pas eu de perte ni de gain d'azote plus récents...

si l'on trouve un rapport voisin de 0, on a
- soit un mécanisme biologique (FBA) (avec une composition de l'atmosphère passée identique à l'actuelle),
- soit un mécanisme différent et une composition de l'atmosphère différente.
Si le rapport isotopique est très différent de 0 il faudra aussi prendre en compte la possibilité que ce soit la composition isotopique de l'atmosphère qui ai changé.

Mesures

et Analyse

Sur les roches anciennes et modernes contenant de la matière organique, les résultats obtenus (Peters et al, 1978, Valérie Beaumont, MHN, 1998) sont les suivants :


Distribution des valeurs du delta de l'azote 15 de l'air en ‰ au cours des différentes périodes précambriennes comparées au Phanérozoïque (âges en milliards d'années : Ga)...

attention : tracés dessinés approximativement à partir de la publication, je n'ai pas les chiffres et surtout je ne suis pas trop sûr de la signification des ordonnées...

Aux incertitudes mentionnées ci-dessus, la distribution isotopique varie au cours du temps. Ce que l'on pense être de la matière organique archéenne a une composition isotopique plutôt centrée autour de 0 alors qu'au Protérozoïque comme à l'actuel la composition isotopique est plutôt centrée autour de 6‰.

Comme on ne remet pas en cause l'hypothèse que ce que l'on dose est bien l'azote de la matière organique, l'hypothèse la plus simple est donc de considérer que l'on a une composition isotopique de l'atmosphère primitive identique à l'actuelle et que l'on a une FBA primitive puisque l'on se rapproche d'une composition isotopique de 0‰.
Mais il est est bien sûr tout aussi logique d'imaginer que, puisque l'on a une discrimination dans les processus de dénitrification et donc peut-être une accumulation progressive de l'azote lourd dans les nitrates, on avait une atmosphère primitive enrichie en azote lourd, comme le signal obtenu dans les météorites tend à nous le suggérer, dans ce cas, on a donc un signal inverse, le fait que la valeur moyenne du delta 15N soit voisine de 0‰ serait donc l'indication d'un processus qui accumule au contraire l'isotope léger dans la matière que l'on suppose organique.... et dans ce cas l'on n'y comprend plus grand chose...

La "matière organique" des météorites carbonées présente un signal très enrichi en 15N (+20%).

Conclusion

L'utilisation des isotopes radioactifs est une méthode chère, avec une très grande incertitude (indépendamment de l'incertitude absolue liée à l'actualisme) qui permet d'aboutir, si l'on reste prudent, à des arguments intéressants mais certainement pas définitifs. La plupart du temps la prudence manque dans les conclusions.

 

Deux remarques personnelles :
* Sur quelles méthodes et arguments reposent toutes les théories actuelles de la formation de l'univers et de la terre ?
Réponse: sur des mesures d'abondance isotopique (directe: roches actuelles et météorites; et indirectes: par spectroscopie astronomique) puis des calculs physiques intégrés dans des modèles décrivant la matière et les forces entre ses composants...
Donc: l'incompétence d'un enseignant naturaliste est patente, et elle ne peut pas être comblée par une formation continue, il s'agit vraiment d'un tout autre champ disciplinaire. Cela n'empêche pas certains collègues de s'intéresser à ces questions mais à mon avis cette partie n'a rien à faire dans un programme de SVT de terminale.
* Existe-t-il un milieu actuel directement accessible à l'expérience sans trace de vie ?
Réponse: non.
(j'écarte volontairement le cosmos qui est peut-être vierge de toute vie si on l'observe par un télescope mais qui ne l'est probablement plus, malgré toutes les précautions prises, une fois qu'il a été observé directement à l'occasion d'un voyage habité ou non ...).
Donc: la vie semble tout "contaminer", d'où l'idée que le milieu n'existe pas, n'a jamais existé, sans êtres vivants.

Conclusion:
Si l'on revient à la conception de la terre comme UN écosystème, qui a commencé dans le temps, s'est développé et continue actuellement de se développer ; quelle certitude avons-nous de pouvoir atteindre les étapes de la naissance de cet écosystème ? Les premières étapes de la vie d'un être vivant peuvent-elles êtres retrouvées à partir d'un adulte ? Il n'est pas certain que l'histoire de la vie, qui est du passé, soit accessible.

b . Trois histoires de la vie

Une histoire longue :

Les plus anciennes roches terrestres sont datées par les méthodes isotopiques (qui utilisent la loi de désintégration radioactive au cours du temps d'éléments présents en très faible quantité dans toutes les roches) d'environ 4.000 millions d'années (on dit maintenant 4 Ga (giga années) ou 4 milliards d'années). On les trouve au Groënland (formation d'Isua) et au Canada (Acasta) et elles ont un aspect étonnamment actuel.
L'âge de la formation de la terre, comme du reste du système solaire est estimé à 4.600 millions d'années; cet âge est estimé à partir de la datation de nombreuses météorites qui se seraient formées en même temps que tous les autres éléments du système solaire. La période séparant la formation de la terre et l'apparition des premières roches connues est appelée l'Hadéen (de Hadès, le dieu des enfers). La période suivante de -4 à -2,5 Ga étant dénommée Archéen (du grec "archos", ancien). Le Protérozoïque, de -2,5 Ga à -0,550 Ga, précède ensuite le Paléozoique ou ère primaire.
Des molécules organiques ont été trouvées dans toutes les roches les plus anciennes comme dans de nombreuses météorites et au sein même du système solaire dans des objets comme les comètes ce qui conduit certains à proposer des origines variées aux molécules du vivant. Des chimistes étudiant ce qu'ils appellent la "chimie prébiotique", tentent de synthétiser des composés organiques spécifiques du vivant, comme les acides nucléiques, sans l'aide des systèmes biologiques.
Il existe quelques cas de structures observées en lames minces et en microscopie optique et électronique qui peuvent rappeler des colonies bactériennes. Certaines structures isolées de roches sédimentaires très fines de Warrauwoona en Australie, datant d'environ 3,5 milliards d'années, sont ainsi interprétées comme des microfossiles. Des structures concentriques appelées stromatolithes (ou stromatolites) dont certaines remontent peut-être à 3,5 milliards d'années comme celles de North Pole en Australie, sont aussi interprétées par certains comme des concrétions bactériennes (dues à des Cyanobactéries, anciennement classées dans les Algues bleues, que l'on peu également appeler Cyanophytes). Ces interprétations sont fort discutées.
Plus hypothétiques encore les interprétations concernant les énormes quantités de fer oxydé (dépôts de fer rubané Fe2O3 associé à des sulfates SO42-) datés de -2,3 à -1,7 Ga, et qui pourraient provenir de l'oxydation du fer ferreux (Fe2+) présent dans les océans à la suite du lessivage des hypothétiques continents. Cette oxydation serait due à la libération d'oxygène par des processus biologiques comme par exemple la photosynthèse qui est réalisée notamment par les Cyanobactéries actuelles. Le fer aurait alors piégé l'oxygène qui n'aurait été libéré dans l'atmosphère que vers 1,7 Ga, une fois que tout le fer des océans eut été oxydé en fer ferrique (Fe3+). C'est à partir de cette époque que la teneur en dioxygène de l'atmosphère terrestre aurait augmenté pour atteindre les 21% actuels.
L'atmosphère primitive, évaluée à partir des réservoirs de volatils actuels estimés (H2O, CO2, CaCO3 et C) ou à partir des inclusions fluides de basaltes profonds ou de météorites, aurait été composée d'environ 80% d'eau et de 10% de CO2, le reste étant essentiellement de l'azote. La couche d'ozone (O3) protectrice vis-à-vis des u.v. solaires serait apparue vers -0,4 Ga puisque c'est vers cette époque que semblent apparaître les premiers organismes aériens.
Les découvertes d'écosystèmes très anciens ne sont pas nombreuses. On peut citer la faune d'Ediacara (découverte dans le Sud Australien vers 1940 ?) datée de 580 à 560 millions d'années renfermant des formes segmentées de taille variable (de quelques centimètres à près d'un mètre) difficiles à interpréter et les schistes de Burgess (découverts à l'Est du Canada dès 1909), datés de 530 millions d'années et renfermant d'incontestables Trilobites. D'autres découvertes de moindre ampleur ont été faites depuis dans des roches cambriennes. Du fait de la rareté des roches très anciennes et de l'intensité du métamorphisme qu'elles ont subies, il n'y a rien d'étonnant à ce que la découverte de fossiles aussi anciens soit exceptionnelle. (Il ne semble pas que l'on puisse affirmer qu'il existait au début du Cambrien une faune riche et diversifiée et encore moins que les mers grouillaient de formes animales primitives...je n'ai fait de recherches approfondies sur ces découvertes fossiles mais elles ne doivent pas atteindre la dizaine de sites au total !!! quand au nombre de formes "originales", elles ne dépassent pas quelques dizaines; les descriptions de J.J. Sepkoski dans "Le livre de la vie" (Stephen Jay Gould, Seuil, 1993) sont peut-être un peu trop imaginaires...).
Dès la fin du Cambrien les fossiles sont de plus en plus nombreux à l'instar des affleurements datés de cette période.

Une histoire courte mais totalement hypothétique

La formation de la terre et du système solaire est datée de 4,5 Ga (milliards d'années). La vie serait apparue dès 3,5 Ga avec des formes bactériennes réalisant des réactions chimiques en tout point semblables à celles réalisées par les organismes actuels. Notamment, on pense que la photosynthèse, utilisation de l'énergie lumineuse solaire pour réaliser des synthèses organiques, serait apparue d'emblée dans l'histoire de la vie. Cette photosynthèse s'accompagnant de dégagement de dioxygène, celui-ci est progressivement dégagé dans l'atmosphère. Vers -400 millions d'années la quantité de dioxygène devient suffisante pour former une couche d'ozone (O3) protectrice des rayons u.v. solaires et permettre ainsi l'apparition de formes vivantes aériennes. Jusqu'alors la vie était en effet cantonnée au milieu aquatique.

Une histoire qui est "peut-être-vraie" mais est "aussi-vraiment-trop-courte"

La vie est apparue il y a très longtemps, et elle s'est développée sur la terre.

Notez la difficulté à changer ou à ajouter des termes : l'apparition de la vie ne peut être datée que par des méthodes expérimentales (avec une grande incertitude expérimentale et une incertitude expérimentale absolue : historique - liée à l'actualisme). Les termes "très longtemps" sont les plus neutres possible. Si l'on ajoute "sur terre", on va à l'encontre de nombreuses hypothèses d'apparition de la vie dans l'espace qui sont loin d'être farfelues. Le fait que la vie se soit développée, c'est-à-dire qu'il y ait eu des changements, semble être aussi difficilement contestable. Ce développement est à mon sens, le "véritable" évolutionnisme (véritable au sens originel, je voudrais dire scientifique, mais en fait il s'agit encore une fois d'histoire, même si le consensus est quasi général : c'est ce que l'on appelait auparavant le transformisme). Mais les modalités d'apparition des différents groupes restent encore très hypothétiques et il ne me paraît pas utile de privilégier une hypothèse plutôt qu'une autre.

2. Des fossiles aux modèles

a. Un fossile est un reste ou la trace d'un être vivant conservé dans une roche.

les fossiles et la fossilisation

étymologiquement fossile signifie "tiré de la terre" (du latin fodio, is, fodi, fossum = creuser, fouir) et on trouve principalement deux types de définitions:
* un fossile désigne toute trace ou reste d'être vivant aujourd'hui disparu; dans ce cas les "fossiles vivants" sont des exceptions car ils appartiennent à des êtres vivant actuellement mais dont les restes peuvent être très anciens.
* un fossile désigne toute trace ou reste d'être vivant mort trouvé dans une roche sédimentaire ; les exceptions sont les organismes conservés dans l'ambre, qui est une résine fossile (insectes comme des fourmis datant de l'ère tertiaire; si vous vous intéressez à l'ambre voyez le tout nouveau livre et le site internet d'un spécialiste à l'adresse http://ambre.jaune.free.fr/ ), des rhinocéros momifiés dans les asphaltes des Carpates, les mammouths congelés dans les glaces de Sibérie et dont l'estomac gardait encore «surgelées» les dernières plantes qu'ils avaient ingérés.

La fossilisation désigne l'ensemble des phénomènes qui conduisent à la formation d'un fossile ou plus précisément à la conservation des êtres vivants ou de leurs traces dans les sédiments puis dans les roches sédimentaires.
A sa mort le cadavre d'un être vivant est enfoui progressivement dans le sédiment (enfouissement).
Le sédiment étant un milieu de vie, la matière organique du cadavre est habituellement rapidement et entièrement oxydée par les microorganismes du sédiment (en H2O, CO2, CH4, NO3-, SO42-...). Parfois la minéralisation de la matière organique n'est que partielle et des hydrocarbures ou des gaz organiques peuvent être produits lorsque l'accumulation de cadavres est très importante. Cela donne lieu à la génèse de kérogène à la base des roches carbonées (voir sous-sol). Parfois encore, dans des conditions très particulières (fortement réductrices ou à une température très basse) qui empêchent l'oxydation de la matière organique, cette dernière peut se dessécher et être conservée (dans l'ambre, l'alsphate, la glace; on cite également des fragments de peau momifiés de quelques Reptiles de l'ère secondaire (Iguanodon , Anatosaurus  et Ichthyosaurus) ainsi que les micro-organismes fossilisés dans les silex qui auraient conservé leur matière organique toujours susceptible de coloration). Dans des conditions réductrices et sans vie la matière organique peut être conservée des dizaines voir des centaines de millions d'années: par exemple on a pu retrouver et déterminer les protéines d'ossements de Dinosauriens de 150 millions d'années et de Poissons de 250 millions d'années. Des analyses biochimiques analogues ont permis de découvrir des traces de chlorophylle dans des roches très anciennes n'ayant pas conservé le moindre vestige identifiable de Végétaux, même tout à fait inférieurs.
Pendant la diagénèse qui affecte le sédiment incluant le fossile en formation, les éléments minéraux du cadavre subissent les mêmes transformations que sa gangue. C'est pour cela qu'il faut des conditions très particulières pour que les structures de l'être vivant soient conservées. Les parties dures (os, dents, coquilles, squelettes minéralisés d'une façon générale...) se conservent bien évidemment le plus facilement, bien qu'elles soient la plupart du temps recristallisées. La cristallisation nouvelle peut se faire soit avec le même minéral: calcite -> calcite; soit avec un autre minéral: par exemple: calcite -> silice (silicification) ou calcite -> dolomie (dolomitisation), hydroxyapatite de l'os (Ca10 (PO4)6 (OH)2) --> francolite (carbonate de fluoroapatite résultant du remplacement des ions hydroxyle par le fluor dans l'hydroxyapatite)... Les parois végétales, organiques mais fortement indurées par la lignine, peuvent aussi s'imprégner de silice et conserver ainsi leur forme (bois silicifiés). Lorsque l'on a remplacement d'un élément (minéral ou organique) par un autre, avec conservation plus ou moins fine de la structure, on parle d'épigénie, ou d'une façon plus générale, de métasomatose (si l'on veut désigner le phénomène de croissance minérale avec remplacement d'un minéral par un autre). L'épigenèse interviendrait en fait après la diagénèse (du grec épi = au-dessus et dia = à travers) mais les phénomènes sont certainement fortement imbriqués et il est difficile de reconstituer leur part réciproque dans l'histoire d'un fossile. Les traces les plus fréquentes sont les moules internes et externes des coquilles d'invertébrés: seul le sédiment remplissant la coquille ou moulant l'extérieur de celle-ci conserve la trace de l'animal lors de sa transformation en roche sédimentaire. La forme de la coquille est alors conservée du fait de l'arrangement spatial des cristaux de la roche sédimentaire formant le moule: il n'y a plus aucun élément ni minéral ni organique appartenant à l'animal fossilisé. Très rarement on retrouve des empreintes de parties molles.

Un article: "La fossilisation : une exception conjoncturelle", Christiane Denys, Pour La Science, 292, février 2002

Etant donné qu'un historique de l'apparition du concept de fossile (la création du mot dans le sens actuel est rapporté à Lamarck in La naissance du transformisme, Lamarck, entre Linné et Darwin, Goulven LAURENT, Collection inflexions, Vuibert/Adapt, 2001, p 15 ) est hors de ma portée, je souhaite juste faire une citation: «En même temps qu'il créait la zoologie des Invertébrés, Lamarck en fondait en effet la paléontologie» (op. cit., p 15) et rapporter une anecdote, racontée elle-même par Georges Cuvier (1769-1832) dont le travail a sans doute été déterminant dans la naissance de la paléontologie (des Vertébrés) mais aussi de l'anatomie comparée. «Dès son premier mémoire sur les Éléphants fossiles, Cuvier émet l'idée d'une création d'animaux antérieurs à la création actuelle, création entièrement détruite et perdue. Cette hypothèse servira de point de départ à de brillantes recherches qui se poursuivront pendant trente années, malgré les plus grandes difficultés. Dans le cas des Mammifères, auxquels s'intéressait particulièrement Cuvier, il est infiniment rare de trouver un squelette fossile à peu près complet: «Des os isolés et jetés pêle-mêle, presque toujours brisés et réduits à des fragments, voilà tout ce que nos couches nous fournissent, et la seule ressource des naturalistes.» Il fallait donc être capable de déterminer ou de reconstituer, à partir d'un fragment d'os, l'animal auquel il avait appartenu, art presque inconnu au moment où Cuvier commença ses recherches. L'anatomie comparée lui fournissait le principe nécessaire à cette détermination: le principe de corrélation des organes, selon lequel chaque partie d'un animal peut être donnée par chaque autre, et toutes par une seule. De la forme des dents, par exemple, on pourra conclure la forme des pieds, celle des mâchoires, celle des intestins. Cette déduction rigoureuse, sinon infaillible, a souvent permis à Cuvier de reconnaître un animal à partir d'un fragment d'os ou d'une dent. On connaît l'anecdote qu'il a lui-même rapportée à propos de la découverte d'un Didelphe dans le gypse de Montmartre; l'examen des dents lui ayant montré la parfaite analogie de ce fossile avec les Sarigues, il ne doute point, avant d'avoir vu le bassin, que celui-ci portait des os marsupiaux. En présence de quelques amis, il fit creuser la pierre et mit au jour le bassin; les os marsupiaux s'y pouvaient voir.»
Comme l'affirme Jean Piveteau : «jusqu'à Cuvier, l'anatomie comparée n'était qu'un recueil de faits particuliers concernant la structure des animaux. Cuvier en fit la science des lois de l'organisation animale» (Jean Piveteau in E.U. article "Georges Cuvier").

b. La paléontologie est une science logique

Elle s'efforce , à partir d'un certain nombre de principes, de déduire des caractéristiques invisibles (anatomiques, physiologiques, comportementales...) de l'analyse (étude morphologique, géochimique (y compris isotopique)...) et de la comparaison des fossiles entre eux et de la comparaison des fossiles avec les formes vivantes actuelles (pour ces comparaison les statistiques sont un outil de choix).

Deux principes de la paléontologie (à compléter avec les principes de la (bio)stratigraphie: voir "datation logique" dans le cours de spécialité):
* principe de corrélation entre organes (principe morphologique et anatomique): chaque partie (organe) d'un organisme (organum, voir l'introduction du cours de seconde pour une petite recherche étymologique) est ordonnée au tout, si bien que par la connaissance d'une seule des parties et par comparaison avec un organisme présentant une partie semblable, on peut en déduire la forme de parties disparues.
* principe d'uniformitarisme ou principe de corrélation environnementale: "en absence d'indices contraires, on suppose que les conditions de vie des organismes disparus ayant donné les fossiles, étaient semblables à celles des organismes actuels les plus voisins"; c'est ainsi que l'on détermine le faciès paléontologique (le faciès d'une roche sédimentaire est l'ensemble des ses caractères lithologiques (de la roche) et paléontologiques (de ses fossiles)) qui nous permet de faire des reconstitutions paléogéographiques. Une coquille d'une "huître" datée de 70 millions d'années est l'indice d'un milieu de balancement des marées, étant donné que l'on suppose que les huîtres ayant donné ces coquilles fossiles vivaient dans le même milieu de vie que les huîtres actuelles. Il existe des cas très précis pour lesquels on a pu prouver que ce principe n'était pas applicable, par exemple pour les Crinoïdes (lys de mer) qui ont migré du plateau continental au talus au cours des temps géologiques.
* le principe d'uniformitarisme appliqué à la physiologie ou principe de corrélation physiologique, permet de la même façon de déduire des composantes physiologiques d'un organisme disparu à partir de celles d'un organisme actuel le plus voisin.

Les déductions réalisées par le paléontologue au moyen de cette logique sont habituellement appellées des faits paléontologiques. Cette apellation est légitime si l'on ne confond pas cette notion avec un fait expérimental.

Une fois les faits paléontologiques dégagés de l'étude des fossiles, le paléontologue s'attache à reconstituer l'histoire des êtres vivants d'une façon plus globale et relie donc les faits entre eux afin de dégager une théorie , à moins que cette théorie ne préexiste à l'interprétation des faits.
La principale théorie scientifique est le transformisme (= les espèces dérivent les unes des autres), ce que maintenant tout le monde nomme l'évolution (= les espèces ont évolué au cours du temps); les espèces actuelles sont le résultat de l'évolution des espèces anciennes disparues qui nous sont connues par les fossiles. (Nous étudierons plus en détail cette question dans un chapitre suivant)

c. L'évolution comme modèle interne ou comme modèle externe permettant d'intégrer les faits paléontologiques déduits des fossiles

Comme pour les modèles en science expérimentale, il me semble que l'y ait deux positions possibles :
* soit on essaye d'établir des parentés directes à partir de critères dégagés à partir des fossiles (modèle externe) ; on est dans ce cas toujours limité par le type de renseignements, forcément non vérifiable expérimentalement, que fournit le fossile. Dans le cas de ce type de modèle il faut partir du fossile et essayer d'en déduire le maximum de renseignements.Ce sont les fossiles qui permettent d'établir le modèle.(pour prendre une comparaison c'est un peu comme si l'on cherchait à partir des données historiques individuelles de chaque homme, de chaque catégorie professionnelle, pendant une dizaine d'années, à comprendre comment ils ont pu réaliser une révolution)
* soit on essaye de trouver une théorie unificatrice de l'évolution (modèle interne) et dans ce cas, étant donné que les forces présidant à l'évolution peuvent être considérées comme toujours actuelles, on peut très bien utiliser les données concernant les êtres vivants actuels tout comme les données des fossiles. Dans ce type de modèle, on part d'une théorie que l'on pose comme un postulat scientifique (dont la validité peut être discutée séparément), et on essaye de trouver tous les arguments possibles sur les êtres vivants et fossiles qui s'accordent avec le modèle: on intègre les fossiles au modèle. (pour reprendre la comparaison de la révolution, le modèle interne suppose un modèle de révolution, social, économique, conceptuel, et on cherche les données historiques qui s'y accordent). Je souligne bien que dans ce dernier cas l'honnêteté intellectuelle de l'historien n'est pas mise en cause : si celui-ci trouve une donnée historique qui ne s'accorde pas à son modèle il est tout à fait capable de modifier le modèle.
Dans les deux cas, le principe de l'actualisme reste bien sûr valable et délimite le caractère historique de ces modèles.
Le plus étonnant est qu'un modèle peut ensuite servir à prédire. Dans le cas d'un modèle externe, la prédiction peut être par exemple de supposer l'existence de formes fossiles intermédiaires. En cas de découvertes en accord avec le modèle, on conforte celui-ci mais on ne le valide pas expérimentalement pour autant. Dans le cas d'un modèle interne, la prédiction est peut-être plus difficile à établir. Etant donné sa prétention à une explication globale de l'évolution et donc de l'avenir du vivant, ce modèle peut être testé dans le temps.
On peut essayer de donner un exemple : l'évolution des Equoïdés.

d. Un exemple : l'évolution des équoïdés

d1 - Données paléontologiques (fossiles, interprétations et reconstitutions) :
attention je ne prétends pas montrer ici uniquement des faits, il y a aussi de nombreuses interprétations

documents extraits de TD, Nathan, 1983; Précis de géologie 2, paléontologie, stratigraphie, J. Aubouin, R. Brousse et J.P. Lehman, Dunod Université, 1978 ; modifiés:
Pliocène (-5 à -1,8 Ma), Pléistocène (-1,8 à -0,01)
puis récent (depuis 10.000 ans)
Equus

(milieu du Pliocène (-2,5 Ma) à l'actuel)


Les échelles ne sont respectées qu'entre les silhouettes reconstituées des équoïdés sur les 4 schémas...

La famille actuelle des Equidés fait partie du sous-ordre des Hippomorphes et à l'ordre des Périssodactyles (Mammifères placentaires chez lesquels les membres présentent un troisième doigt prépondérant par lequel passe l'axe du membre selon lequel le poids du corps repose ; à ce groupe appartiennent aussi les Cératomorphes : Tapirs et Rhinocéros). Elle regroupe les genres Equus (espèce unique Equus caballus), Asinus (les ânes), Hemionus (Hémiones vrais et Onagres) et Hippotigris (Zèbres).La seule sous-espèce encore à l'état sauvage dans les steppes d'Asie est le cheval de Prjewalskii : Equus caballus prjewalskii. Il semble avoir été domestiqué pour la première fois en Asie à la fin du néolithique. Les races sont très nombreuses (du Poney des Shetlands au Percheron, en passant par le Cheval arabe). On trouve des Equus à l'état fossile depuis le Pliocène en Amérique du Nord puis en Europe au Quaternaire (Pleistocène : de -1,8 Ma à 10.000 ans). Mais il est étonnant de noter que lorsque les colons européens arrivèrent en Amérique au 18ème siècle, ils réintroduirent le cheval qui semblait y avoir complètement disparu (depuis la fin du Pléistocène).

Miocène ( -25 à -5 Ma) au Pliocène (-5 à 2 Ma)
Pliohippus
(Miocène sup et Pliocène)

On classe dans ce groupe (Simpson) des Equidés très voisins du cheval mais dont les doigts latéraux sont plus développés que chez le cheval, dont les molaires sont convexes vers l'extérieur alors qu'elles sont droites chez le cheval.

Merychippus
(Miocène)

Les échelles ne sont respectées qu'entre les silhouettes reconstituées des équoïdés sur les 4 schémas...

Merychippus atteignait probablement 1m à l'épaule. Le museau est plus allongé que chez les Equidés plus anciens, l'orbite se ferme postérieurement. Le cubitus et le radius sont fusionnés et le péroné se réduit à une large baguette osseuse. Les doigts latéraux sont courts, le poids du corps n'ayant probablement porté que sur le doigt médian. Les dents semblent sont du type hypsodontes (elles sont plus élevées que les dents brachydontes et elles s'usent par leur couronne) et semblent correspondre à un régime alimentaire herbivore (on peut essayer de relier ce type de dentition à l'extension des prairies à Graminées de la flore Miocène); à l'intérieur des crêtes d'émail du cément est visible pour la première fois.

Oligocène (-38 à -32 Ma) au début du Miocène
Parahippus
(Oligocène sup et Miocène)

Les dents semblent se rapprocher plus d'un type nutrition herbivore ("mangeur d'herbe" par opposition à phyllophage : "mangeur de feuilles") du fait de l'hypsodontie (les dents hypsodontes sont plus élevées que les dents brachydontes et elles s'usent par leur couronne) mais le cément n'existe cependant pas à l'intérieur des crêtes d'émail chez Parahippus. Les hémisphères cérébraux recouvraient en grande partie les lobes olfactifs.

Miohippus
(Oligocène moyen à supérieur)

Les échelles ne sont respectées qu'entre les silhouettes reconstituées des équoïdés sur les 4 schémas...

Formes "transitoires" qui ne se distinguent de Mesohippus que par des différences mineures notamment au niveau des os du tarse.

Mesohippus

(Oligocène)

Découvert en Amérique dans le Dakota (Badlands) avec 14 excellents squelettes avec un aspect que l'on imagine très semblable à celui d'un petit cheval (60 cm de hauteur à l'épaule). La tête rappelle celle du cheval mais avec une mandibule plus grêle. Les prémolaires 2, 3 et 4 sont molarisées et montrent comme les molaires des crêtes d'émail nettes. L'alimentation probable est la même que celle de l'hyracotherium. Apparaît chez Mesohippus pour la première fois une cupule d'usure au niveau des incisives (ou cornet), utilisée pour vérifier l'âge des chevaux dans les marchés de bétail. Le doigt externe (VI) est présent au niveau du membre antérieur mais fortement grêle (vestige ?). Dans l'encéphale, des sillons caractéristiques de la surface cérébrale des Equidés actuels sont nombreux et les hémisphères cérébraux recouvraient partiellement le cervelet.

Eocène sup (-40 Ma) à l'Oligocène (-30 Ma)
Eohippus
(Amérique du Nord)
=

Hyracotherium (Europe)

Les échelles ne sont respectées qu'entre les silhouettes reconstituées des équoïdés sur les 4 schémas...

Eohippus a été trouvé pour la première fois dans les Montagnes Rocheuses (Bassin de Wasatch) et daté d'environ 40 Ma (Eocène sup : Sparnacien, Bartonien). Il possède les mêmes caractères que l'Hyracotherium trouvé en Europe (dans la province de Kent par Owen en 1839) et antérieur (Sparnacien, environ -53 Ma) mais en bien moins grande abondance. On doit donc utiliser le nom d'Hyracotherium qui est le premier à avoir été donné. Il avait une hauteur à l'épaule estimée entre 25 et 50 cm (un gros lapin !). Il possède une denture complète de 44 dents mais une barre entre les incisives et les molaires apparaît : il s'y logeait une petite canine (cette dent n'existe que chez les mâles des chevaux actuels). Les deux prémolaires antérieures sont coupantes tandis que les deux prémolaires postérieures et les molaires sont broyeuses. Les molaires ont une couronne présentant 4 tubercules principaux et deux tubercules accessoires. Les dents broyeuses sont basses (type brachydonte) et la nourriture devait constituer de feuilles succulentes et de fruits car l'on pense que l'herbe siliceuse (graminées) aurait usé beaucoup trop vite des dents de ce type. A la patte antérieure seul le premier doigt manque alors que le cinquième fait aussi défaut à la patte postérieure. Métacarpe et métatarses sont assez longs. Le moulage endocrânien montre des lobes olfactifs très développés, un encéphale quasiment lisse, les hémisphères cérébraux ne recouvrant pas les tubercules quadrijumeaux.

d2- Une histoire des Equoïdés selon Pierre-Paul Grassé : ce qui me semble être un modèle externe

Voici un extrait de L'évolution du vivant de Pierre Paul Grassé (p93-96) dans lequel il parle de la présentation de l'évolution des équoïdés faite par G. Simpson, notamment dans son livre "Horses" (1951) : «Le récit que G. Simpson donne de l'histoire des Equoïdés édifie sur l'influence qu'exerce la doctrine sur l'observateur. Le darwinien inconditionnel nie l'existence de l'évolution orientée, bien qu'elle soit évidente, et la confond à tort avec l'orthogenèse, malgré cela, il y fait un appel constant et involontaire.
Il se range à l'opinion classique d'après laquelle tous les Equoïdés dérivent des genres Hyracotherium (Eocène d'Europe) et Eohippus (Eocène d'Amérique du Nord), qu'il met en synonymie, et qui ont donné deux lignées : les Equidés vrais en Amérique du Nord (ils ont passé en Europe au Pliocène-Pléistocène) et les Paléothéridés en Europe. Ne considérons que les Equidés qui ont buissonné en petits rameaux évolutifs, tels ceux des Anchitherium, des Hypohippus, des Stylohipparion... et en Equidés proprement dits, lesquels se terminent par le genre Equus. Selon Simpson, la diversité des lignées démontre l'inexistence de l'orientation évolutive ; or, ce qu'il décrit est précisément l'évolution buissonneuse ou verticillée, dont la forme caballine est le leitmotiv dans toutes les sous-lignées; elle y est plus ou moins bien réussie mais toujours présente et, à l'intérieur de chacune d'elles, avec le temps, la réalisation de l'idiomorphon caballin progresse. Le tableau que, dans son livre Horses, Simpson (1951) propose de l'évolution des Equoïdés nous agrée; il met fort bien en évidence les tendances évolutives, et son auteur fait de l'«orthogenèse» comme M. Jourdain faisait de la prose, sans le savoir.


Evolution des Equoïdés de C.G. Simpson (1951)
(in L'Evolution, des faits aux mécanismes, Louis Allano et Alex Clamens, Ellipses, 2000, p 129)

Il ne relève, dans cette évolution, qu'un seul caractère apparaissant brusquement : le remplissage par du cément (tissu osseux) des vallées que dessinent les plis d'émail sur la face triturante des dents jugales du Merychippus, Pliocène moyen d'Amérique du Nord. En vérité ce caractère avait fait son apparition plus tôt, en Europe à l'Oligocène, chez Plagiolophus javali, un Palaeothéridé européen, et s'insère dans le faisceau des particularités caballines; chez Plagiolophus, il se trouve associé à l'hypsodontie et à une très forte tendance à la monodactylie : le doigt médian (III) l'emporte de beaucoup sur les deux autres qui le flanquent.
Un tel ensemble de caractères, se manifestant des deux côtés de l'Atlantique (plus tôt en Europe qu'en Amérique), exclut toute intervention du hasard. Les populations d'Equoïdés d'Europe et d'Amérique ont réalisé une expérience naturelle dont il convient de tirer les enseignements qu'elle comporte. Elle ne tourne sûrement pas à l'avantage de la doctrine darwinienne.
Au total, dans toutes les lignées d'Hippomorphes, au fur et à mesure que les genres se succèdent : la taille s'accroît, le massif facial l'emporte de plus en plus en volume sur le neurocrâne, les dents gagnent en hauteur, le cément apparaît, les replis d'émail se compliquent, les membres s'allongent, le cubitus et le péroné se réduisent à des vestiges soudés respectivement au radius et au tibia, la prédominance du 3ème doigt est un fait constant, amorcée dans des familles qui, bien que tridactyles, sont fonctionnellement monodactyles, elle s'exprime pleinement dans la pure monodactylie des Equidés. L'idiomorphon caballin présente bien d'autres particularités, parmi lesquelles s'inscrivent la structure cérébrale, la suspension du crâne, la forme générale du corps, etc., qui sont présentes à des degrés inégaux dans les diverses sous-lignées, et par cela même "personnalisées". Dans son exposé théorique, Simpson ne s'attarde pas à la structure du sabot et pourtant elle est l'aboutissement d'une évolution toute d'invention et de précision. Ce sabot, en harmonie avec le membre qu'il coiffe à la manière d'un dé, protecteur de la 3ème phalange, amortit sans ressorts, ni caoutchouc, des chocs dont la force peut dépasser une tonne. Il n'a pu se constituer par hasard car, à l'examen, il se révèle être un musée de coaptations et de nouveautés organiques. La paroi cornée (muraille) par ses lames verticales kératophylleuses s'engrène avec les lames podophylleuses de la couche kératogène. Les longueurs respectives des os, leur mode d'articulation, les courbes et formes des surfaces articulaires, la texture des os (orientation, agencement des travées osseuses), ligaments, tendons glissant dans des gaines, coussinets amortisseurs, os naviculaire, synoviales et leur liquide lubrifiant séreux impliquent une continuité dans la construction que les hasards, forcément chaotiques et incomplets, sont impuissants à maintenir. Cette énumération ne concerne pas les ultrastructures où brillent plus encore les adaptations, qui donnent leurs solutions aux problèmes de mécanique des solides que pose la locomotion rapide sur des membres monodactyles

Voici deux schémas issus du Précis de zoologie de Pierre Paul Grassé chez Masson (1977) pour vous aider à suivre ce texte :

Coupe longitudinale et coupes transversales schématiques
d'une incisive de cheval adulte
(in Précis de zoologie, Pierre Paul Grassé, Masson, 1977, modifié)
Coupe médiane du membre antérieur d'un cheval
avec quelques détails concernant la structure du sabot
(in Précis de zoologie, Pierre Paul Grassé, Masson, 1977, peu modifié)

d 3- Une histoire des Equoïdés selon Christine Janis : ce qui me semble être un modèle interne

Voici la phylogénie présentée par Christine Janis dans Le Livre de la Vie, Seuil, 1993 et le texte qui l'accompagne :


Une phylogénie des Equoïdés - les aires colorées correspondent à des genres différents regroupés au sein de familles dont les représentants majeurs sont indiqués - en bleu le plus clair, la famille des équidés
(Christine Janis, Victoire par forfait : La succession mammalienne, dans Le Livre de la Vie, Seuil, 1993, p 199).

«L'Eocène ("l'aube des temps nouveaux") doit son nom au fait qu'il a vu apparaître, entre -57,2 et -34 millions d'années, beaucoup d'ordres actuels et même certaines familles de mammifères vivant aujourd'hui.... Parmi les premiers membres de l'ordre (…) des Périssodactyles, il y a eu le tout premier des ancêtres du cheval, Hyracotherium. … L'Eocène fut une époque particulièrement faste pour les périssodactyles. Ils se diversifièrent en toute une série de familles, certaines d'entre elles survivant aujourd'hui (chevaux, rhinocéros, tapirs), d'autres étant éteintes (brontothères, chalicothères, paléothères). …
A la fin de la période initiale de l'Eocène, les températures à l'échelle planétaire connaissent le pic le plus élevé de tout le Tertiaire. Du milieu à la fin de l'Eocène, la tendance au refroidissement et à la sécheresse fût plus marquée au niveau des plus hautes latitudes, les gelées d'hiver s'y manifestant vers la fin de cette époque, il y a 34 millions d'années. … A la fin de l'Eocène, les zones de végétation de type tropical se trouvèrent comprimées au niveau des latitudes équatoriales, tandis qu'aux latitudes plus élevées se développa un nouveau type de végétation, la forêt tempérée comprenant à la fois des conifères et des arbres à feuilles caduques, semblable à la forêt actuelle couvrant le Canada et le nord de l'Europe.…
Chez les herbivores, il se produisit un profond bouleversement, dans le cadre duquel les ongulés à nombre pairs de doigts prirent la tête. Leurs dents montrèrent de plus en plus de signes d'adaptation à un régime alimentaire contenant davantage de fibres, ce qui était la conséquence des saisons plus marquées,
favorisant le développement à long terme d'une végétation devenue plus vieille et donc plus coriace, au lieu de la production constante d'abondantes jeunes pousses. … Les ongulés à nombre impair de doigts, les périssodactyles, qui avaient été les herbivores dominants au début et au milieu de l'Eocène, gardaient encore une grande importance au sein de la faune, malgré l'essor de nouveaux types d'ongulés à nombre pairs de doigts. Il y avait en Europe, de nombreuses sortes d'équidés primitifs et de paléothères, apparentés au cheval, bien que le nombre des équidés ait globalement décliné en Asie et en Amérique du Nord.(Ils rebondirent à la fin de l'Eocène en Amérique du Nord, avec l'apparition de membres plus herbivores et de plus grande taille, de la sous-famille des Anchitheriinae, des brouteurs spécialisés, tels que Mesohippus).
(L'Oligocène) Apparemment, ce fut une époque de
stase évolutive, une accalmie entre les moments d'apparitions et d'extinctions d'espèces au début du tertiaire, et les nouvelles radiations et migrations de types plus modernes de mammifères vers la fin du tertiaire. … Les nombreux équidés d'Amérique du Nord étaient des brouteurs forestiers de la taille du poney, comme Miohippus et Anchitherium ; mais il n'y avait pas de grands brouteurs d'herbes dans les plaines.
Commençant à -23 millions d'années, le début du Miocène vit s'amorcer un changement en direction d'un climat plus chaud et considérablement plus sec. C'est à peu près à se moment que s'ouvrit le détroit de Drake entre l'Antarctique et l'Amérique du Sud, livrant le passage à un courant circumpolaire d'eau froide.… Un facteur supplémentaire fut le rétrécissement des mers intérieures peu profondes sur les continents, par exemple, la Thethys fut fermée par un pont de terre entre l'Afrique et l'Eurasie, ce qui isola la Méditerranée. … Entrant pour la première fois en contact avec le continent eurasiatique, la faune africaine, jadis unique en son genre, en fut
irrévocablement transformée. Beaucoup d'espèces africaines originales purent pénétrer en Eurasie, et en particulier les proboscidiens et les hominoïdes (les grands singes) en train de se répandre. La plus belle réussite évolutive fut présentée par les équidés. Les premiers d'entre eux, ancêtres du cheval actuel, surgirent au début du Miocène. Il y eut une immense radiation de diverses espèces de Merychippus, des équidés dotés de plus longues pattes et de molaires à couronne plus élevée, capables de faire face à un habitat plus ouvert, et à une végétation plus rude, promue par les changements climatiques du début du Miocène. Du début au milieu du Miocène, la totalité de l'hémisphère nord vit se développer une tendance selon laquelle les animaux adaptés à des habitats plus ouverts augmentèrent en nombre, au détriment de ceux plus adaptés aux forêts. ...
En Amérique du nord, les équidés plus spécialisés et les animaux de la famille du cerf surclassèrent les oréodontes. Pourtant il n'y avait pas encore de traces de vraies prairies ouvertes. Ces herbivores paraissaient adaptés à un régime alimentaire comprenant à la fois des feuilles et des herbes, peut-être avec des périodes de sécheresse saisonnière, mais ils n'étaient pas encore de vrais brouteurs d'herbe, comme les chevaux modernes et les antilopes....
Une caractéristique fondamentale à la fin du Miocène fut l'apparition en Amérique du Nord et du Sud de prairies du type des savanes, l'un des événements capitaux de ces derniers 500 millions d'années...... Les animaux
capables de manger des herbes ont ainsi l'assurance d'une ressource alimentaire qui s'autoremplace en permanence et qui peut se répandre sur presque des centaines de kilomètres carrés sans interruption. Le revers de la médaille est que les feuilles contiennent beaucoup de silice, un minéral abrasif, et leur consommation use les dents beaucoup plus vite que celle des feuilles des arbres. La réponse évolutive des animaux brouteurs d'herbe a été de développer des dents hypsodontes, c'est-à-dire des dents dont les couronnes sont plus hautes qu'elles ne sont longues ou larges, avec d'épaisses couches de cément et d'émail très repliées. Donc, une conséquence de la présence de ces particules de silice (phytolithes) a été de stimuler l'évolution des animaux capables de brouter les herbes de façon si adaptée qu'ils en sont pratiquement dépendants - à la façon d'un marché captif. (Les changements dans la flore de l'intestin ont été également importants ; ces bataillons en sabots qui peuplent la savane dépendent fondamentalement de leur estomac pour leur survie). ... Les faunes nord-américaines développèrent une grande quantité d'équidés manifestement adaptés à un régime alimentaire composé presque exclusivement d'herbe, comme le sont le cheval ou le zèbre actuel. L'équidé à trois doigts Hipparion traversa le détroit de Béring pour devenir l'un des membres les plus importants des faunes de l'Ancien Monde.
... Bien que le grand échange entre les faunes du nord et du sud de l'Amérique n'ait pas commencé avant le Pliocène, ces continents étaient, à la fin du Miocène, suffisamment proches pour que les premiers pionniers franchissent
par hasard les eaux les séparant....
Au début du Pliocène, il y a environ 5 millions d'années, les tendances au climat planétaire plus froid et sec avaient imposé des conditions très semblables à celles d'aujourd'hui, et ce fut à ce moment là que les nouveaux grands types de végétation courants aujourd'hui commencèrent à apparaître. Au début du Pléistocène, il y a environ 1,8 millions d'années, le monde entra dans une période plus froide d'alternance de glaciations et de phases interglaciaires. Même maintenant, dans l'actuelle phase interglaciaire, le climat est plus froid et sec qu'à l'époque du Pliocène....
Dans la gamme des équidés aux différentes mœurs alimentaires, seuls les brouteurs d'herbe survécurent en Amérique du Nord...
L'Amérique du Nord a reçu, en provenance du Vieux Monde, le cerf et le bison, aussi bien que des mammouths et des félins aux dents de sabre, qui ne persistèrent pas au delà du Pleistocène. Les chameaux, les canidés et les vrais chevaux (brouteurs d'herbe et dotés de pattes à un seul doigt) migrèrent dans l'autre sens, c'est-à-dire à partir de l'Amérique du Nord. ... Et finalement, à la fin du Pléistocène, l'être humain (Homo sapiens) quitta l'Afrique pour se répandre sur les autres continents du monde entier.
A la fin du Pléistocène, les types de mammifères suivants étaient tous éteints : tous les grands animaux porteurs de trompe, autres que les éléphants, dans le monde entier, et les éléphantides (mammouths) en Amérique du Nord et dans le nord de l' Eurasie ; les félins aux dents de sabre, les hyènes ressemblant au guépard, les canidés ressemblant aux hyènes ; les sivathères girafidés, les chalicothères et les damans géants. L'Amérique du Sud perdit ses marsupiaux carnivores, ses ongulés indigènes (notongulés et lipoternes) et ses grands édentés (paresseux terrestres et glyphodontes) ; l'Amérique du Nord perdit les mêmes grands édentés, présents en tant qu'immigrants, de même que ses chevaux, chameaux et tapirs. En Australie, les kangourous mangeurs de feuilles, les dirpodontides et le lion marsupial disparurent (bien que des récits et des contes aborigènes suggèrent que certains de ces types ont peut-être perduré jusqu'à des époques plus récentes). Les faunes du monde actuel sont lourdement réduites, comparées à celles d'il y a seulement 12.000 ans, et surtout en matière de grands mammifères. Aujourd'hui, il n'y a plus guère que l'Afrique, à avoir conservé quelque chose du nombre et de la diversité des ces grands mammifères qui s'étaient épanouis jusqu'à récemment partout dans le monde.
» Christine Janis, Victoire par forfait : La succession mammalienne, dans Le Livre de la Vie, Seuil, 1993, p 169-217

d 4 - Un essai de comparaison des histoires et des modèles

Présenter une histoire vraie, certaine, qui fasse l'unanimité, n'est pas à la portée de l'homme et va à l'encontre des principes des méthodes scientifique expérimentale et historique. Chacun a cependant le droit d'être convaincu de la justesse de sa vision et d'essayer de convaincre le lecteur. Je ne suis pas un observateur impartial, mais j'essaye d'en être conscient. Ces deux textes ne sont pas choisis au hasard, l'un est plus axé sur la paléontologie, plus proche des fossiles, alors que l'autre est plus dirigé vers le grand public et raconte une histoire (un conte ?). L'un est peut-être plus pédagogique que l'autre, mais justement, c'est parce qu'il sous-tend une théorie (modèle interne), facilement assimilable, et répétée de nombreuses fois au cours du discours. J'ai essayé d'en repérer quelques éléments significatifs que j'ai fait ressortir en rouge dans le texte. Par contre le texte de Pierre-Paul Grassé est plus polémique car il s'attaque à une théorie établie - au niveau universitaire alors et dans le grand public de nos jours - et il ne présente pas de théorie (modèle interne) : il reste au niveau du modèle externe.
Résumé en quelques mots chaque théorie est un exercice périlleux et forcément injuste (partial) mais il faut quand même essayer de dégager les grandes lignes de chacune:
* Pierre-Paul Grassé part d'un type caballin (idiomorphon) actuel et voit une évolution orientée par l'acquisition progressive de caractères de plus en plus proches de ceux du cheval dans des groupes diversifiés qui apparaissent puis disparaissent. Il met l'accent sur l'harmonie qu'il existe entre les nombreuses fonctions réalisées chez un herbivore, placentaire, coureur... qu'est le cheval.
Il rejette le hasard comme facteur d'évolution. Pour lui, «le cheval n'est pas … le produit raté de hasards successifs»(p 43). « Les tendances évolutives sont si nombreuses qu'elles ne font nul obstacle à la diversité... L'impression de désordre que laisse parfois l'examen superficiel des faunes d'hier et d'aujourd'hui s'efface quand on approfondit l'étude des formes, qu'on précise la chronologie et qu'on découvre les lignées évolutives » (p 27).
* Christine Janis explique avant tout les êtres vivants passés comme des individus soumis aux conditions du milieu (climat, végétation et donc disponibilité nutritive, répartition des terres émergées...) et suppose que les changements du milieu imposent les modifications chez les êtres vivants qui s'adaptent ou dont certaines caractéristiques, apparaissant au hasard, sont sélectionnées. Cette vision repose sur la sélection naturelle qui s'impose à la suite de la fécondité excessive et la variabilité spécifique, ce qui est la théorie darwinienne de l'évolution.
Une critique importante de cette théorie concerne l'action de cette supposée sélection naturelle orientée de façon similaire à des moments et des lieux différents (Pierre-Paul Grassé - p103) : comment la sélection naturelle a-t-elle pu aboutir à plusieurs formes identiques en même temps (ou avec un décalage de quelques millions d'années) en des lieux très éloignés et n'ayant pas exactement les mêmes conditions de milieu ? Pour en rester à l'exemple des équidés: il est tout à fait faux de dire que le cheval est le résultat d'un grand nombre d'adaptations, qui seraient apparues une seule fois, et qui s'additionnent dans le temps : l'hypsodontie, les sabots, la perissodactylie.... et d'innombrables caractères de ce type sont apparus à des moments différents, en des lieux différents et dans des lignées différentes. Mais pas dans des embranchements différents... il faut donc remonter au-delà de l'espèce, de l'ordre et de la famille pour essayer de comprendre les mécanismes de l'évolution. Faire jouer la sélection naturelle au niveau de l'embranchement me paraît donc envisageable mais par au niveau de l'espèce qui est déjà un membre trop spécialisé de l'embranchement.

d.5 - Construire une phylogénie: un exemple incomplet mais détaillé pour les élèves

Les faits paléontologiques considérés sont les genres présentés plus haut. On représentera sur la même trame que la phylogénie de Christine Janis les différents genres par des traits verticaux. Le début de chaque trait correspondant à l'âge du fossile le plus ancien; la fin du trait indiquant l'âge du fossile le plus récent.
Les traits noirs sont donc les faits paléontologiques; tous les traits bleus sont des traits de construction....
J'ai relié par des traits pointillés horizontaux et verticaux les genres identiques trouvés dans des localités différentes (Hyracotherium et Equus). Cela signifie que je pense qu'un genre donné n'est apparu qu'une fois (monophylétisme) en un lieu donné, même s'il a pu migrer ensuite et conquérir d'autres territoires. Il ne faut pas confondre ce trait de construction avec des traits de parenté (continus) que nous allons ensuite nous efforcer de placer.


Phylogénie "pédagogique" partielle des équidés: 1ère étape: les faits paléontologiques.

Le travail consiste maintenant à établir des filiations entre ces genres. Même si les données sont très incomplètes, la méthode peut cependant être appliquée dans un but pédagogique.
* Pour les genres d'équidés actuels (Asinus, Hemione et Hippotigris) on peut raisonnablement penser qu'ils dérivent du cheval (Equus) au cours du Quaternaire. On les relie donc à l'aide de traits. Dans une représentation moderne on choisit habituellement des traits horizontaux qui indiquent que la différenciation en genres nouveaux est un phénomème rapide. Lorsque plusieurs genres apparaissent en même temps à partir d'un même type, on parle de radiation. Dans la théorie évolutive la plus en faveur actuellement on pense que ces étapes de radiation sont séparées par des périodes de stabilité (stase). C'est le modèle "saltationniste" ou modèle des équilibres ponctués développé notamment par Stephen Jay Gould. A la fin d'une période de stabilité les genres dispariassent: c'est la phase d'extinction.
Pour visualiser ces périodes de radiation il est parfois nécessaire d'avancer sur le schéma la date d'apparition d'un genre. Lorsque les données des fossiles viennent ensuite confirmer cette antériorité d'un genre, c'est un bon argument en faveur du modèle (qui permet de prévoir) mais il est aisé de comprendre qu'il ne constitue en rien une preuve.
* L'origine du cheval demande ensuite par exemple à être discutée. On peut le faire dériver de genres encore présents au Pliocène (représentation choisie ci-dessous puisque je n'ai utilisé que des traits horizontaux et le minimum de traits verticaux) ou de genres intermédiaires ancestraux, non encore découverts.
* Un exemple de branchement d'un genre à partir d'un autre assez bien documenté est celui de Miohippus à partir de Mesohippus, à l'Oligocène. Brusquement, le genre Miohippus apparaît et coexiste avec Mesohippus.
Voilà le schéma précédent complété dans cette optique.


Phylogénie "pédagogique" partielle des équidés: 2ère étape: une phylogénie à partir du modèle des équilibres ponctués.

Cependant, il ne faut pas oublier que ce schéma n'a aucune valeur paléontologique étant donné qu'il est incomplet (et imprécis).

Conclusion:
l'étude de cet exemple a au moins les mérites suivants:
- faire apparaître la théorie sous-jacente à l'interprétation qui est cachée alors qu'elle me semble être le plus important (et pourtant le moins apparent)... ; Aucune théorie n'est définitive dans le cadre de l'histoire de la vie... peut-être même cette histoire est-elle définitivement hors d'atteinte ?
- mettre en évidence le point central des discussions entre paléontologues: les classifications évolutives ou phylogénies qui reposent sur la notion d'espèce paléontologique, ce que nous allons donc étudier maintenant.

Remarques:


 Introduction: Les objets et les méthodes - 1. Les origines: un problème à part - 2.Des fossiles aux modèles - 3.L'évolution - 4.Phylogénies - 5. Les grandes lignes de l'histoire de la vie - 6. La lignée humaine
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