PENSER SANS PENSER

 

Parfois, pendant za-zen, des pensées surgissent sans cesse, les problèmes quotidiens, les désirs, les anxiétés nous assaillent sans relâche. Or, il ne faut ni lutter contre les pensées ni se fixer dessus. Il est écrit dans le Shodoka (1) : " On ne doit pas rechercher la vérité, ni couper ses illusions. " On laisse passer les pensées, on ne les entretient pas, elles perdent ainsi leur acuité, et za-zen nous conduit au-delà. Notre esprit est compliqué, difficile à diriger, agile comme un singe ; si nous essayons de le maîtriser, nous constatons rapidement que c'est impossible. En pratiquant correctement za-zen, l'assise juste, en nous concentrant uniquement sur la posture et la respiration, nous oublions notre conscient, et les pensées passent d'elles-mêmes, naturellement. Ces pensées sont d'abord celles de notre vie quotidienne, puis, si nous continuons la pratique une heure, un jour, un mois, nous atteignons les niveaux les plus profonds du subconscient. De cette façon, en nous éduquant sur le plan de l'inconscient, za-zen nous fait découvrir la sagesse et la véritable intuition. Cette éducation est aussi celle de tous nos sens - pendant za-zen, les perceptions revêtent une très grande acuité. Ici, dans le dojo, nous sommes sollicités par le bruit du vent, le son du kyosaku, le bruit des voitures, le chant des oiseaux... Si nous nous laissons distraire par ces phénomènes, nous oublions de nous concentrer sur la posture.

Qu'est-ce que la concentration ?

Dans les textes zen traditionnels, il est dit :

- Regarder sans regarder,

- Entendre sans entendre,

- Sentir sans sentir,

- Penser sans penser.

Il faut se concentrer sur les six sens à la fois (la conscience les étant considérée comme un sixième sens), les unir, les harmoniser. Si les sens sont unifiés, on peut trouver la véritable concentration sans se servir de la volonté. Penser sans penser, inconsciemment... Il existe différents moyens pour aider à trouver cette concentration : par exemple, pousser à fond sur les intestins durant l'expiration, ou recevoir le kyosaku.

Pendant za-zen, la douleur est plus efficace que l'extase. La meilleure concentration se découvre avec la douleur, quand on est fatigué, que l'on a envie de partir. La véritable et profonde concentration se trouve aux frontières de la vie et de la mort. Evidemment, les débutants doivent faire preuve de volonté; on corrige consciemment sa posture, ou sa concentration, puis, peu à peu, elle s'améliore inconsciemment. Lorsque l'habitude du za-zen est acquise, dans la vie quotidienne les sens acquièrent la même acuité qu'en za-zen. Le za-zen devient la source de notre existence. Les phénomènes (shiki) deviennent vide (ku). La plupart des gens n'agissent qu'en se servant de leur conscience et de leur savoir, qui sont toujours limités. La véritable création, l'action juste, provient de la sagesse, elle ne surgit pas de la conscience, mais des profondeurs de l'esprit. L'essence devient alors phénomène. C'est bien là ce qui est chanté dans le "Sutra de la Sagesse Suprême " : shiki soku ze ku, ku soku ze shiki, la forme (phénomène) est le vide (essence), le vide n'est autre que la forme.