Koans

 

PASSER SUR L'AUTRE RIVE

Le Zen est toujours contradictoire. Il ne se satisfait pas de l'aspect commun des choses. Il attire le regard sur leur face cachée, sur l' " autre réalité ", qui n'apparaît pas directement, et que l'on ne peut appréhender avec la seule pensée. Pour cela il use d'un procédé assez caractéristique, qui est le koan. Le sens originel du mot est loi, principe de gouvernement. De Ko : gouvernement, an : loi, règle. Koan veut donc dire : principe, règle originelle, loi absolue de justice, qu'on ne peut changer. Le koan est un moyen d'éduquer le disciple, de lui faire acquérir ce principe absolu, d'inciter sa conscience à s'ouvrir à une dimension nouvelle. Un koan peut paraître absurde au sens commun ; avec l'expérience profonde on le comprend et on en saisit l'essence universelle.

L'école Rinzaï a particulièrement développé la pratique du koan. Les moines Soto ont critiqué les koans Rinzaï, et réciproquement. En réalité, les grands Maîtres sont fondamentalement d'accord, ils ont la même compréhension des choses, et leur voie est une.

Pour sa part, l'école Soto n'exclut pas le recours au koan. Il arrive que le Maître donne un koan pendant le za-zen, ou après la pratique en groupe. Parfois, c'est le disciple lui-même qui pose une question, et la réponse du Maître constitue un koan. Par exemple à la question " L'âme existe-t-elle ? ", il répondra - " L'âme change tout le temps. " La réponse devient un koan, parce qu'elle oblige le disciple à réfléchir et à trouver la réponse en lui-même.

Le koan n'est pas nécessairement lié à une image poétique. A chaque instant, la vie quotidienne pose des koans qu'il nous faut résoudre en créant chaque fois une solution neuve, et bien souvent en allant jusqu'au bout de nous-mêmes. Il faut savoir apprendre à " ni céder ni reculer ". Souvent le maître zen, dans le Soto, utilise les circonstances de tous les jours prises dans la vie de chacun pour éduquer sans cesse, faire découvrir les plans profonds que l'intelligence déductive n'atteint pas par la logique courante, transmettre la sagesse du Zen. Cela se fait de façon naturelle. Mon maître se servait souvent d'images, non pas poétiques, mais tirées des circonstances ordinaires, et qui devenaient alors très profondes.

Ne nous y trompons pas ! La méthode du koan demande le même entraînement et la même concentration que l'art de tendre un arc et de laisser partir la flèche au bon moment ! Comme si, au bord du vide, il fallait abdiquer sa volonté. Plonger dans l'abîme avec décision et courage, affronter la mort pour mieux trouver la vie. Le koan se réfère à l'état de conscience profonde auquel on accède durant le za-zen. On ne doit pas méditer sur lui, au sens courant du terme, ou se le rappeler par la mémoire. Il faut le laisser pénétrer dans le subconscient. Il resurgira le moment venu, portant soudain l'esprit à une vision qu'il n'aurait pu atteindre par une suite d'actes conscients. Il ne faut pas faire du koan un concept intellectuel, mais le penser par le corps, avec toutes les cellules, jusqu'à ce qu'il devienne conscience du satori. Il ne peut y avoir rien d'autre qu'une compréhension intuitive. Un koan, c'est, essentiellement, l'esprit transmis par l'esprit : i shin den shin. Si l'on analyse un koan, si l'on tente de l'expliquer, il devient un objet pour la conscience. Il en est de même des livres : quelle que soit leur valeur, ils ne transmettent pas l'essence de la sagesse, même s'ils sont inspirés par Bouddha ou par le Christ. L'essence de la sagesse peut être trouvée par la concentration sur le vide omniprésent, pur et silencieux, où tout est vérité.