Dans une vacuité absorbante...
 

 

"L'homme se rend Dieu d'autant plus réel qu'il est plus conduit à en critiquer et à en refuser toutes les représentations qui lui viennent à l'esprit, sans cependant pour cette raison s'arrêter d'en produire, tellement cette continuelle recherche est liée à son être même; cette recherche s'impose à lui avec la vigueur de la nécessité d'autant plus qu'il accède à un haut niveau de conscience de soi.
 

 

Il sait bien qu'il ne pourra jamais atteindre Dieu par ce qu'il lui est donné d'entrevoir; et pourtant, il s'attache toujours davantage à le chercher. Cette ignorance inéluctable qui renaît sans cesse des efforts mêmes de l'intelligence est la seule connaissance qu'il peut avoir de Dieu. Cette impuissance à échapper à la question que lui pose l'être même de Dieu vient de sa correspondance fidèle et efficace à l'action divine. Cette ignorance et cette impuissance creusent en lui un vide qu'il lui est aussi essentiel de reconnaître dans sa qualité propre et d'assumer que sa carence d'être. Ce vide en l'homme est indissolublement lié à la carence d'être ; il en est l'origine comme la manifestation ultime.
 

 

Ce vide est la conséquence ultime et sans remède de ce que Dieu est et de ce que l'homme n'est pas, mais est appelé à devenir. En temps ordinaire, le croyant s'approche quelque peu de la perception de ce vide par le détachement et dépassement volontaires de tous les événements et états intimes, contingents et éphémères qu'il rencontre. A l'heure du recueillement, en les excluant de sa pensée il s'efforce de se tenir en lui-même et devant Dieu. Ce n'est alors que le mouvement d'un esprit et d'un coeur qui n'ont rien pour se fixer ; rien que l'unique tension obscure vers ce qui ne peut être ni réfléchi ni senti.
 

 

Mais au temps favorable, Dieu fait de ce vide une plénitude paradoxale et sans pareille, que rien d'humain ne peut décrire. Le croyant alors se voit "être" sans se regarder. Il existe plus qu'il ne vit. Dieu se manifeste à lui directement sans voile et de façon aussi inexprimable qu' inconcevable, dans une vacuité absorbante, et non plus seulement par le truchement de ce que l'homme peut en saisir à partir de sa propre substance."

Marcel Légaut.

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