Leonardo SCIASCIA
Oeuvres complètes II (1971-1983)
Edition établie, préfacée et annotée par Mario Fusco. Fayard,
2000, 1 362 pages, 390 F.

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Sans perdre le contact avec ses racines, sa Sicile natale, Sciascia, qui a quitté l'enseignement, s'engage désormais totalement, durant les douze ans que couvre ce gros volume, dans son combat pour tenter d'assainir la politique italienne, en dénonçant les sulfureuses compromissions de la Démocratie chrétienne avec le Parti communiste italien. Il publie un livre chaque année, de plus en plus précis, passionné, inflexible, et se met à dos les deux plus puissants partis politiques dont il démonte les fonctionnements parallèles. Polémiste incomparable, il utilise la forme du roman policier (dans Le Contexte et Todo Modo), où, sous couvert d'une espèce de parabole, il s'attaque au P.C.I. avant de s'en prendre aux troubles interférences entre l'Eglise et l'Etat. Il sera le commentateur le plus aigu de la terrible Affaire Moro, sur laquelle il écrira un pamphlet incendiaire, montrant que le Président de la Démocratie chrétienne a payé de sa vie sa position dans l'alliance des démocrates-chrétiens avec des communistes. Il s'attaque également à la mafia (dans Les Mafieux), dont il démystifie la prétention pseudo-morale de faire régner un droit de justice populaire en faveur des petits contre les puissants ; et démasque, à l'occasion d'un autre récit (Les Poignardeurs), situé au XIXe siècle, les mécanismes d'une société archaïque empêchant tout progrès par son immobilisme et son règne de l'arbitraire. L'Eglise sera à nouveau sa cible dans le récit, sous forme d'enquête (Du côté des Infidèles), alors que La Disparition de Majorana se présente sous la forme de « Notes » où il scrute le mystère de l'étrange disparition (restée inexpliquée) d'un jeune physicien, génial élève de Enrico Fermi, qui avait participé avant la guerre aux recherches sur le noyau de l'atome. La question de la responsabilité des hommes de science est posée ici, avec une urgence que l'angoisse rend universelle. Et l'espèce de « Journal sans date » que constituent Noir sur noir et Mots Croisés, où Sciascia révèle la richesse de sa culture (ouverte sur l'histoire, la littérature, les arts plastiques), montre bien à quel point il est un héritier non seulement de ses chers philosophes des Lumières, mais encore de ces génies sans frontière que sont Montaigne, Stendhal, Goethe, Hugo, Varga, Pirandello et, bien sûr, Manzoni, le combattant méditatif, maître idéal d'écriture et de pensée. Sa passion pour la justice naissait d'une générosité aussi lucide que profonde, baignée d'une secrète mélancolie, comme si l'essentiel était simplement de s'engager chaque jour et de toujours recommencer.

Jean Mambrino

Juillet-Août 2000 : Revue des Livres - Choix de Disque - Sommaire du numéro

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