Le Wall Street Journal prend le Scan Express

THE WALL STREET JOURNAL EUROPE.
Le grand quotidien économique américain consacre un long reportage au stupéfiant système de fret Ferroviaire de la vieille Europe.

Le Scan Express, ce train de fret qui relie la France à la Scandinavie, a suffisamment intéressé le Wall Street Journal pour que ce quotidien américain publie dans son édition
du 29 mars, dès la première page, un fort long reportage qui, au fil du parcours, fait découvrir au lecteur notre stupéfiant système ferroviaire. Car le reporter, Charles Fleming, va d'étonnement en étonnement : pour lui, la référence, l'évidence, ce sont les compagnies ferroviaires américaines, monstres transcontinentaux qui font rêver les Européens sans qu'ils sachent comment appliquer leurs recettes. Il voit donc dans le transport ferroviaire de marchandises, la grande et la coûteuse exception d'une Europe unie. On découvre en retour avec intérêt le regard amusé qu'il porte sur la vieille Europe, un peu comme si notre système ferroviaire présentait à l'économiste moderne le visage tavelé d'une charmante vieille dame ayant un peu perdu la boule et se perdant dans des protocoles révolus - mais n'est-ce pas ainsi que les romanciers américains du siècle dernier voyaient l'Europe, ou que les cinéastes du Nouveau Continent nous l'ont ensuite montrée?
Voici donc le journaliste à bord du Scan Express, dans le sens Danemark - France.
Naturellement le reportage commence par un arrêt. Celui-ci provient de l'approche de la frontière allemande: six heures après le départ, il faut changer de locomotive ainsi que de conducteur, les voltages n'étant pas les mêmes, ni les systèmes de signalisation. Car, constate Charles Fleming: " Il n'y a pas deux pays d'Europe qui utilisent les mêmes systèmes de signalisation ou de courant électrique pour leurs trains. "
Il ne lui échappe pas, non plus, que les Espagnols et les Français n'ont pas le même écartement de rail, ni que les trains roulent à gauche en Angleterre et en France, à droite sur le reste du continent. " Pas de quoi s'étonner alors, nous dit-il, si l'activité économique européenne s'est reportée sur la route. "

Témoignage d'un chargeur, Kjell Roos, responsable du transport pour le suédois Ikéa, qui achemine 20 % de son trafic européen par le train, 60 % par la route et 20 % par bateau : " Nous avons tenté d'utiliser plus souvent le rail, mais la route est beaucoup plus efficace. " Et lorsque Kjell Roos se demanda comment mettre en place un réseau de distribution entre son nouvel entrepôt de Lyon et ses magasins de meubles situés près de Milan, c'est le camion qui s'empara de tout le " business ". Car les routiers offraient des prix inférieurs de 20 %. " Plus important, les routiers pouvaient garantir les livraisons d'un conteneur de meubles en huit heures, à comparer aux 48 heures par le train. " Pas naïf pour autant à propos des bienfaits de la route - et partageant la position d'un Neil Kinnock sur la nécessité de déréglementer le rail pour le sauver-, le reporter du Wall Street journal ne manque pas de signaler le revers de la médaille -. les routes engorgées de camions, l'air pollué, la compétitivité entravée. Et il se réfère bien sûr à la catastrophe survenue la semaine précédant la publication du reportage, causant une quarantaine de morts dans le tunnel du Mont-Blanc.
Mais reprenons avec Charles Fleming le fil de son voyage le menant du Danemark en France. Après un goulot d'étranglement signalé avec un brin d'ironie comme une porte de l'Europe, nous voici à Padborg, où, après le départ de M. Andresen, conducteur du convoi pour la fin du voyage au Danemark, Juergen Maas, un Allemand, vient prendre le relais au commandes de sa locomotive : c'est 1e premier de plusieurs conducteurs de la DB qui se succéderont la nuit durant. Enfin, nous arrivons avec le jour en France. Comme de bien entendu, changement de locomotive. " Ce qui complique un peu plus l'affaire, la locomotive prévu pour le parcours final en France est hors service, si bien qu'une diesel, plus lente, est chargée d'accomplir le travail." Dirk Lorig prend place dans la cabine à Trèves, en Allemagne, pour amener le train de l'autre côté de la frontière. Il est l'un des rares conducteurs allemands habilités à le faire: pénétrer de 500 mètres dans l'est de la France requiert que le conducteur ait suivi une formation de dix jours à la signalisation ferroviaire française. Une fois en France, le train est forcé de s'arrêter encore, paperasse oblige : Quoique les formulaires sur le chargement aient été remplis au Danemark, les officiels des chemins de fer français doivent renouveler l'opération, les ordinateurs des compagnies ferroviaires n'étant pas compatibles. " Charles Fleming se pose une question de bon sens en terminant son voyage au triage de Woippy: pourquoi l'Europe, qui a su s'affranchir des frontières avec le TGV n'a-t-elle pas fait de même pour le fret?

Réponse de notre reporter: "Les coûts la construction d'un tel système pour une offre ferroviaire à faible marge [?] sont prohibitifs, surtout sans la coopération étroite des réseaux nationaux. " Selon lui, les responsables des réseaux se savent anachroniques, mais sans être prêts pour autant à accepter l'arrivée des nouveaux entrants sur lesquels la Commission compte pour redynamiser le secteur. Il perçoit bien l'opposition farouche des " politiques et des réseaux ferroviaires en France, en Belgique et au Luxembourg, plaidant pour un renforcement progressif de la coopération entre les réseaux ferroviaires ". L'enquêteur américain n'y croit pas, puisque pour lui, justement, " l'incommode système de coopération est celui selon lequel le Scan Express fonctionne, changeant de locomotives et de conducteurs en traversant l'Europe ". Nos lecteurs français, belges et luxembourgeois ne devraient pas trop apprécier sa conclusion. Cependant, le constat que dresse pour lui Philippe Roumeguère, le secrétaire général de l'union internationale des chemins de fer, est irrécusable : " Franchement, les choses avancent trop lentement. "

F. D.La VieDuRail du 28/04/99